Supreme Asphalt Doser

Gunslingers « Supreme Asphalt Doser » LP (Opaque Dynamo / Cardinal Fuzz / Feeding Tube Records)
Douze ans après leur deuxième opus, ce sauvage trio français sort un nouvel album, enregistré en 2012, de ses archives. Il ont bien fait!! Le combo de Gregory Raimo avait laissé quelques oreilles brûlées à l’époque et dans l’intervalle plusieurs disques de ses projets parallèles – dont le somptueux et bluesy « Electric Rockin’ Chair  » de l’Hôpital De La Conception – ont bien contribué à prolonger le halo de lave incandescente autour de ses initiales. L’intensité de « Supreme Asphalt Doser » est sans pareil: écoutez « Fierce by contract », écoutez-le bien fort. La guitare devient votre épine dorsale, à vif, et vous ne pouvez vous retenir de vous rouler par terre, dans des spasmes déchirants renforcés par un chant huile-sur-le-feu. La basse est d’une voracité et d’une vélocité digne des dinosaures les plus cruels à avoir jamais foulé cette planète. Toute cette musique sonnera peut-être préhistorique pour certains alors qu’elle n’est qu’un brasier dont l’intensité ne demande qu’à se raviver après avoir connu ses plus belles flambées il y a plus de quatre décennies. « Sucked into the bottom » cherche à descendre en rappel les falaises de l’électricité comme les plus beaux combos japonais – High Rise par exemple pour n’en citer qu’un. Monstrueuse cérémonie païenne, « Supreme Asphalt Doser » est une secousse tellurique et roll autant qu’une virée nerveuse et angoissée le long de nos réminiscences électriques, de nos Be Bop d’outre tombe, ressuscités avec une prouesse volcanique.

Heavy Metal « IV: Counter Electrode Iron Mono » 2LP (Total Punk)
Un double album!! Par où commencer? Si je ne me trompe il s’agit du 4ième LP du groupe allemand Heavy Metal, enregistré en 2018, mais qui sort en vinyle après le cinquième (le faux live « (Live) At The Gas Station Fighting The Devil » sorti en 2021 sur le même label). Ce quatrième opus était déjà sorti en K7 en 2019 sur Static Age. Comme vous pouvez le constater, le groupe est facétieux et adore brouiller les pistes. Les premiers albums – qui n’ont rien d’heavy metal je précise si besoin – avaient déjà fait forte impression mais celui-ci franchit un cap en poussant leur goût de l’absurde et leur éclectisme au maximum. Les coulisses de leur créativité sont vite dévoilées avec le désopilant « Bergadler & A Microphone » : une Pils premium et un micro suffisent à l’affaire. Ensuite c’est une malicieuse virée au sein d’influences multiples – glam, électronique lo-fi, punk, funk et j’en passe – sans craintes sans tabous et surtout pas celui de baptiser un morceau « Kick Out The Jams » une pichenette psyché qui renvoie plus à la rencontre fortuite entre Jesus & Mary Chain et Boards of Canada qu’au Motor City Five. On sent un véritable plaisir d’enregistrement et de mixage comme en témoignent certains empilements en forme de coups de chaud (la fin de « Gasmask Factory II » ou de « Frank Spencer » par exemple). Il y a même deux morceaux de rap fulgurants avec la participation d’un certain Ice « Genius » Brainiac. L’album est gavé de hits incroyables comme le terrible « Sick Note » que n’aurait pas renié Pussy Galore ou le remuant « Room 17 ». Bref, un véritable tour-de-force, Heavy Metal is #1!

Mr Coolos « 666xRSA​/​√​8​.​6​=​drogue » DL (La Benne)
Cette démo est un énorme chien danois agressif à l’entrée de cette année 2023 (bon ok c’est sorti fin Octobre). Sauf que Mr Coolos n’est pas vraiment danois mais plutôt strasbourgeois et comporte quelques noms depuis longtemps fichés par nos services comme Nic Normal (des Squares à Le Chômage, vous devez le connaître) à la guitare, Cheb Samir (des Normals à Trans Upper Egypt, vous devez le connaître) à la batterie ou encore Baron Dimanche (Le Chômage, vous devez le connaître). Une formule un peu sympa à base du nombre de la bête, de l’acronyme du « Revenu de Solidarité Active » et du nom d’une bière plutôt alcoolisée ne suffit pas à résumer l’effet addictif de ces huit morceaux bien rentre-dedans. Si le chant coule parfois c’est pour mieux se faire ailleurs hurlement, de pair avec la saturation guitaristique savamment travaillé à la basse et à la guitare et aux frappes sèches du batteur. Quand une trompette ou un clavier se fraye un chemin dans cette densité totale, le résultat devient hyper inflammable. Le dernier morceau étant un « ? »/question mark qui se termine de manière abrupte après une minute et quarante neuf secondes. Du lourd, du très très lourd.

Smirk « Material » LP (Feel It)
Deuxième album pour le groupe de Nick Vicario dont je vous parlais déjà l’an dernier. Je constate d’abord avec plaisir que Smirk a pris de l’ampleur: là où le premier LP était une compilation de K7, celui-ci présente d’emblée un son plus ample et plus travaillé avec un enregistrement parfait (ainsi qu’un mix et un mastering signé Andrew Oswald de Marbled Eye). Si on retrouve un goût certain pour les sonorités des Saints, Devo, Wire ou plus proche de nous Uranium Club, Smirk se construit avec cet album quelque chose de plus singulier qui les éloigne du « bedroom punk ». Smirk prend un malin plaisir à brouiller les pistes avec des bridges étonnants en forme de fulgurances de l’hyper-espace, des coup de boutoir dans la morosité (« Symmetry »), des antichambres de la réalité (« Total Reality »). Si le propos reste sombre (« Living in hell », « Hopeless »), les morceaux gardent une accroche pop et s’il y a quelques solos, ils sont aussi courts que déchirants. « At the pantomine » atteste peut-être de ce qu’a souhaité Smirk avec ce disque: des morceaux mémorables et évocateurs qui, tels un spectacle de pantomime, disent beaucoup de leurs créateurs avec un « geste » simple et généreux qui n’a cependant rien du mime (malgré les références nombreuses et assumées). Une vraie réussite!

2 Square Y? « The Secret Degree » LP (Emotional Response)
C’est au hasard d’une recherche sur la réédition d’un disque d’Amos & Sara que je tombe sur cet album du vétéran anglais Jim Welton (The Homosexuals, Amos & Sara et plein d’autres sous une myriade d’alias) avec son complice Ted Barrow – avec lequel il avait déjà joué dans Die Trip Computer Die. Le premier morceau et single « The secret degree » m’accrochant pas mal l’oreille je poursuis mon écoute et je reste épaté jusqu’au bout par la fraîcheur de ces chansons avant-pop parfaitement exécutée (arrangements, harmonies, dérivations électroniques occasionnelles), cultivant un humour grinçant (« Morgan Drowning », « Night at the lodge »…) et un éclectisme savoureux à l’image de toutes les compiles Messthetics pour ne citer qu’un exemple venant immédiatement à l’esprit. Le chant est souvent malicieux, les morceaux fourmillent d’idées et témoignent d’une véritable approche « fait maison » qui ne s’encombre pas de guillemets pour slalomer entre pop, folk, new-wave et expérimental. Le morceau final, « I set fire to an angel », plus intimiste et posé, confirme ma première impression sur cet album: une réussite totale.

Alien Nose Job « Stained Glass » LP (Total Punk / Antifade)
Alors que je devrais être en train de réfléchir un peu à cette chronique et à quelle éventuelle justification je peux apporter au fait que – oui – je vais encore écrire sur Alien Nose Job, j’écoute en boucle « Shuffling like coins » et le boogie de ce morceau brûlant me coupe le souffle (danse). Après le fantastique « Paint it clear » l’an passé, Jake Robertson est de retour et a pour l’essentiel délaissé ses synthés au profit d’une bonne vieille guitare, décidé à en découdre avec le son de « légendes locales » comme AC/DC ou Rose Tattoo. Sur le papier ce n’est pas forcément le genre de projet qui m’aurait fait bondir de suite. Mais ce gars sait tout faire, il tente tout et il fait mouche à chaque fois. Même s’il s’est bien lâché sur quelques solos fouillés et électrifiés, Jake garde son approche résolument punk rock. Certes, on est en territoire de « rock à papa » et vous avez raison d’avoir peur mais avec des paroles sarcastiques au possible et ce son chaud et tranchant, Alien Nose Job fait beaucoup plus que réchauffer les plats. Il ne les revisite pas non plus, il les explose comme la mosaïque de la pochette en d’innombrables petits morceaux de « modly dough » (du nom du dernier morceau). Laissez vous aller, « Stained Glass » est un classique à écouter très fort.

Kitchen’s Floor « None of that » LP (Eternal Soundcheck/Petty Bunco)
Quatrième album pour le groupe de Matt Kennedy qui est devenu en 15 ans l’un des grands noms de la scène australienne avec son rock d’effrondrement, toujours un pied dans le vide et au bord du ravin. « None of that » poursuit sur cette sombre glissade tout en gagnant, je trouve, à la fois en tension et en versatilité. Quand « Blood » et « Lousy company » balisent à l’aveugle un chemin hasardeux au bord du précipice avec la douce perversité d’un parc d’attraction illégal tenu par des mafieux, « Expiry » et « Northern Fort » distillent un venin plus insidieux, baignant dans la répétition et la monotonie du quotidien, la froide réalité des choses. Si les arrangements se font parfois plus doucereux, le propos reste d’un réalisme brutal et quelques envolées noise piquantes (« Drink », « Yamsi ») sont les reflets glacés des saturnales passées. Il pleut sur le Tropique du Cancer mais le Tropique du Capricorne est tout aussi malade et cet album sombre et poignant nous le rappelle avec un aplomb remarquable.

Kilynn Lunsford « Custodians Of Human Succession » LP (ever/never)
Inoubliable chanteuse et leader de Little Claw et Taiwan Housing Project, Kilynn Lunsford est allée au fin fond de sa mémoire musicale profonde pour concevoir ce premier album solo. Si la répétitivité et l’apreté du morceau d’ouverture « Reality Testing » est d’une certaine façon dans la lignée de ses groupes précédents, il n’en est pas de même pour de nombreux autres morceaux qui cultivent un délicieux groove de travers. On peut citer l’electro-pop sombre et langoureuse de « Tammy and her friends » (j’ai pensé à ce groupe allemand Rhythm King And Her Friends), le fiel céleste et psychédélique de « Where the moon waits » qui flotte au dessus d’une moelleuse ligne de basse ou l’ambiance synthétique chaloupée qui vire au frénétique de « North Sea Shrimps ». « Three Babies Make Ten » pourrait évoquer un croisement inédit entre Luscious Jackson et Throbbing Gristle quand « No Disabuse » pourrait être la rencontre de MIA et de Malaria. Trouver l’intime dans l’industriel, jouer des frontières entre les sphères, les champs, les styles, filer l’essentiel dans des rythmiques improbables: c’est le pari permanent de ce superbe album comme en témoignent les trois derniers morceaux dont l’épique « Public Private Dream World ».

V/A Thorn Valley 2LP (World of echo)
20 morceaux, deux LP, 500 exemplaires. A l’occasion de ses 4 ans l’excellent disquaire londonien World of echo marque le coup avec une compilation. L’art de la compilation est souvent méconnu ou méprisé mais rassurez vous ce n’est pas vraiment l’objet de cette chronique ou du moins pas seulement. Ces 20 titres sont surtout l’occasion de partager et faire découvrir des artistes qui ont en commun de porter des univers forts, une imagination fertile et communicative. L’instrumental délicat des anglais de Bons, la mélancolie en sous-sol des hollandais de Goldblum ou les allemands robotico-aquatiques de TRjj accrochent l’oreille avec malice. Le proto-industriel galactique de Komare et CIA Debutante ne nous prépare que partiellement aux trépidantes percussions de Valentina Magaletti ou l’acidité digitale de Roxane Métayer. Stefan Christensen puis EXEK, à leurs sommets, nous poussent dans les cordes une nouvelle fois avant que l’on plonge dans la solitude froide et fascinante d’un People Skills ou les envolées stellaires de Mark Gomes. Un tour d’horizon captivant.

Center « Over The Stations » LP (Bruit Direct Disques)
J’avais déjà évoqué ce groupe ici à l’occasion de la sortie d’une K7 sur Regional Bears l’an passé. Avec ce nouvel album, le trio du Connecticut composé de Stefan Christensen, Ian McColm et Dave Shapiro prouve à nouveau l’étendue de sa délicatesse. Jouant sur les nuances autant que sur les sonorités (cordes diverses, carillons, tambours…), Center déploie une musique infiniment aérienne, comme des cerfs-volants sonores pris dans le vent de leurs inspirations/expirations. Des dissonances concrètes et copieuses de « White Pine Oval » à l’épuration quasi totale de « Birds Fall From The Dam » (sorte de sublimation d’une séance d’accordage interrompue par un incident radiophonique) en passant par le bourdonnement aussi austère que fascinant de « Door 5-4 », toute la palette de l’improvisation est mise à l’épreuve, avec un goût certain pour le pastel automnal. Le superbe « Pysvyä », lente descente harmonieuse perlée de delay et de discrets ornements quasi amphibiens se déguste comme les plus belles heures de Windy & Carl. « Over The Stations » est une œuvre fine et subtile qui a de quoi provoquer les plus beaux voyages intérieurs.

The Eye « Breaking the Psychic Hold » CS (Petty Bunco)
The Eye est l’un des nombreux alias d’Anthony Pasquarosa, musicien prolifique du Massachusetts qui s’est fait connaître outre-Atlantique dans des groupes comme World Domination, Gluebag ou Burnt Envelope. Il faut se laisser lentement dériver à l’écoute de cet album. L’enveloppe corporelle se relâche totalement, devient une rivière à l’eau fraîche, claire et vivifiante qui serpente dans des immensités boisées au son d’une guitare lointaine, grinçante, vrillée et répétitive. S’appuyant sur ces motifs sonores, entretenus par une boîte à rythme ancestrale, l’esprit se libère en tournoyant vers la canopée, glissant le long des rayons de lumière comme un poisson retrouvant son élément après en avoir été privé. « Signs of the Alien », « Psychic Bereavement » signalent cette prise de hauteur là où les plusieurs parties de « Dreams of decay » et l’épique « Breaking the Psychic Hold » constatent amèrement les décompositions en cours, l’inextricable chaos, l’insidieux venin. Les boîtes à rythme se multiplient, prolifèrent comme une humidité ravageuse. Les dents tombent en plein cauchemar, le dernier morceau ne dure que 16 secondes, probablement pas beaucoup plus que la fin du monde. Vous savez ce qu’il vous reste à faire.

The Apostles « Best Forgotten » LP (Horn of plenty)
Voici un album présentant les premiers enregistrements du groupe anarcho-punk anglais The Apostles formé en 1979 par William Corbett, Julian Portinari, Dan MacIntyre et Pete Bynghall, rapidement rejoints par le chanteur et parolier Andy Martin et son acolyte Dave Fanning. Ces deux derniers ont constitué le noyau dur du groupe pendant une dizaine d’années. Dans ces morceaux enregistrés avec les moyens du bord dans des squats d’Islington et Hackney entre 1981 et 1983, on est frappé par le goût de l’expérimentation post-punk tous azimuts du groupe et la poésie immédiate de leurs sonorités rudimentaires. Il faut écouter cette ligne de basse carnivore et saturée de « The Cage (parts 1 & 2) » sur fond d’aplats de claviers improvisés ou encore le tricotage guitaristique minimaliste sur fond de boîte à rythme à-bout-de-souffle d' »Alien Asian ». Cela met magnifiquement en valeur les textes qui sont en prise directe avec les tensions de l’époque mais aussi des thématiques parfois plus personnelles. Les bourdonnements de « Red », la frénésie rythmique de « Last train to Hellsville », les errements lo-fi subaquatiques de « Thalidomide », le duo de voix d' »Illegal immigrant » ou l’effervescence de « Shures of time », psychédélisme boueux du meilleur effet, achèvent de me convaincre que ce groupe n’avait pas son pareil. On est plus proche d’Alternative TV ou Nocturnal Emissions que de formations avec lesquelles ils ont souvent été associés comme Crass ou Flux of Pink Indians. Définitivement inoubliable.

Rivi​è​re de Corps « Exilé de l’Aube » CS (Vague à l’Âme / Grande Rousse disques)
Troisième album pour Rivière de Corps, projet solo originaire de Troyes dans l’Aube, comme la commune qui donne son nom à l’artiste. Je prends bien le train en marche je dois dire. Mais cet « Exilé de l’Aube » est d’une intensité rare. Les synthés sont superbes, c’est lacrymal, sanguinaire, distordu à la main comme une broderie de nerfs à vif. Il y a des kicks lents, doomesque, de ceux qui viennent des profondeurs de la fosse et qui font suer les murs de meilleurs bouges. Peut-être devrais je parler de donjon, puisque ça semble être l’étiquette utilisée mais l’étiquette brûle bien sûr, tout crame. « La chair salée » cultive la tension des notes tenues, de celles frisent l’échine alors qu' »Animal factice » ajoute une rythmique saccadée et de lentes descentes d’octaves-organes. La subtilité du chaos finement saturé de Rivière de corps n’a pas laissé insensible Ventre de biche (au mastering) et Cheb Samir (The Normals, Capputtini I Lignu, Trans Upper Egypt…) qui vient prêter main forte sur « Diablo », grand 8 sombre et industriel. « Trou noir », spatial, flottant est une envolée parfaite dans la nuit du monde, un dernier morceau qui donne irrémédiablement envie de voir Rivière de corps en concert, pourquoi pas avec Scorpion Violente qui semblent les grands frères tout trouvés pour une grande messe noire dans un cimetière de proximité.

Smelly Feet « Smelly neu pollution » LP (Minimum Table Stacks)
Première sortie du label américain Minimum Table Stacks, ce « Smelly neu pollution » rassemble en un vinyle trois singles auto-produits et quelques morceaux épars de l’artiste néo-zélandais Smelly Feet sortis en 1981. Plus connu sous son vrai nom de Brent Hayward ou sous son alias Fats White, il fût guitariste de groupes importants de la scène post-punk du pays à l’époque, Shoes This High et Kiwi Animal. Smelly Feet est son projet solo, d’apparence complètement dépouillé, guitare semi accordée et paroles à la face du monde. Mais dès le premier morceau « OHMS » on comprend qu’il plante ses dents dans ses textes et que c’est un peu de son âme qui suinte à chaque chanson. Et qu’importe si ça part dans tous les sens, le monde est chaotique, ses chansons le sont aussi. Ecoutez plutôt « A song for the world », « Vegetable market » ou l’apocalyptique et cinglant « E.O.T.W.I.T. » (End Of The World Is Today) – définitivement à ressortir aujourd’hui. Si le chant se fait parfois un peu plus mélodique (« Masterpiece »), Smelly Feet garde en permanence sa fantaisie et sa causticité (« Walk on by »). Il y a dans cette compilation assez de haut moments de bravoure pour vous aider à passer l’hiver au frais (« Peanuts » pour n’en citer qu’un).

Михаил Минерал « Л​о​б » LP (Inu Wan Wan)
Essentiellement, je ne sais pas parler de ce disque. Mais je vais essayer quand même. Il y a un univers percussif, quasi enfantin souvent strié de saxophone, de paroles en russe, parfois presque incantatoires. Dans la cuisine, le regard perdu dans le monde. Rage des couteaux sur le tefal. Un synthé souterrain semble soudain guider mes interrogations le temps de cut-ups vocaux qui pourraient évoquer Badaboum en roue libre. Le sax, l’accordéon, bourdonnent, se signalent ad libitum avant de laisser place à des bruits de pas, sublimes. Les vocalises de « Балдёж » poussent les imaginaires dans d’interminables escaliers ascensionnels avant que les merveilleux scintillements métalliques de « Velorus » arrondissent d’intrigantes fricatives. La sombre et inquiétante fin de « So » et l’élégant « La Danse » (chanté en français) achèvent de me convaincre de la beauté de cet album. Mikhail Mineral sait s’écouter autant qu’elle écoute ce qui l’entoure. Ses morceaux sont des prolongements d’elle-même, de ses mouvements, de ses convictions. Il y a un mélange de soin et d’improvisation, d’attention et de profonde révolte, de sang et de sueur. Un album d’aujourd’hui, remuant et poussant à la réflexion.

Yuta Matsumura « Red Ribbon » LP (Low Company)
On part en virée cosmique avec Yuta Matsumura, échappé de combos australiens de haut vol comme Low Life, Orion et Oily Boys. L’atmosphère est aussi brumeuse qu’aquatique, on superpose des couches automnales de voix, de basse, de clavier – accompagnées à l’occasion de coulis de flûte et de violon – sur des rythmiques de drumbox, rondes comme les o de Not Not Fun. Subrepticement apparaît le magnifique « Soko No Oto », chanté en japonais par Haruka Sato et la tension mélancolique frise les sommets dans des entrelacs de « ha! » répétitifs sur fonds de dégoulinantes nappes de synthé sublunaires. « Tabula Rasa » file l’onirique et le baroque en cinémascope, presque à la manière d’un EXEK dépouillé de guitares et batterie, attendant patiemment la nuit d’Halloween dans une pénombre inspirante. Malgré quelques rayons lumineux dardant l’obscurité, l’exploration proposée par « E.Potential » est bien celle d’une maison hantée. Mais les fantômes sont des nôtres bien sûr. »No sleep for birds » appuie les voix pour tisser la drama-vie dans un petit écrin transparent. « Zookeeper’s Trial », instrumental au piano-absorbant clôt cet album assez fascinant qui grimpe l’Olympe avec une majestuosité qui tient plus de la grandeur d’âme que des dorures clinquantes.

BZDET « KŁAMCA » CS (Syf Records)
On ne sait pas grand chose sur BZDET si ce n’est que c’est a priori un projet solo, qu’il n’en est plus à son premier album et que ces 12 chansons ont pour thèmes « shitty prime minister, shitty people’s attitude and shitty viagra boys », ce qui me va très bien. Tonalités sombres, quelques touches synthé Chrome-esque et une guitare et une basse qui s’affolent parfois beaucoup mais pendant une durée très limitée. « Katovitze » et « Szczęście » par exemple fixent l’approche: sans compromis, déliquescence générale, montées de buzz psychédéliques et j’en passe. Vient soudain le caustique et dansant « I don’t need Viagra Boyzz », petit hymne subunderground, embué, lo-fi mais pas du tout indie, si vous voyez ce que je veux dire. « Matka Ziemia » et c’est une guitare flageolante en Europe du milieu mettant en lumière la force du propos, au-delà de la langue. Puis un uppercut punk bétonné, drapé de lignes de basse en velours, puis des labyrinthes de punk-boîte-à-rythme sales et remuants aux échos inquiétant et conçus comme de puissantes stimulations nerveuses. Si quelques morceaux frisent la rigidité minimaliste, la plupart empilent habilement des couches de déviances au goût inédit. Une nouvelle sortie percutante du label polonais Syf Records.

David Nance « If You’re Hungry, You Get Fed » CS (Western Records)
David Nance dispose déjà d’une longue carrière depuis des débuts au milieu des années 2000 avec les remarqués Forbidden Tigers puis de nombreuses sorties solo depuis 2012 et plusieurs collaborations, notamment avec Simon Joyner, remarquable musicien également originaire d’Omaha, Nebraska et en activité depuis les années 90. Malgré des accointances certaines avec des labels comme Ba Da Bing, Trouble In Mind ou Petty Bunco, David Nance n’hésite pas à sortir aussi régulièrement des albums de son côté, en autoproduit. C’est le cas pour ce « If You’re Hungry, You Get Fed » qui dispose de la chaleur, de l’intimité et de la liberté d’un enregistrement qu’on ne rattache à aucun enjeu commercial. « See you in Crown Court » et les hommes de loi se font entourer de serpents-maracas dans une ambiance psyché / folk / free noise déjà très incendiaire. « I’m the contact » et on semble voir une certaine filiation s’établir avec pêle-mêle Neil Young, Terry Manning ou Alex Chilton, pour cette écriture à la fois aiguisée, inventive et complètement relax. « Pearly Gates » par exemple c’est d’abord un son de guitare, brûlant ou tout au moins incandescent, un souffle-braise permanent pour toute une petite mécanique maison qui se met en marche tranquillement mais sûrement, cendres-sur-corde, esprits en envol. Les perles s’enchaînent, toutes étincelantes: le sombre « Don’t have faces », le mélancolique « Secret Fox », l’épique « The Way Things Are From That Pickle Jar » et le sublime « No Night Fighter », uptempo impressionnant qui clôt cet excellent album.

RRR Band « s/t » CS (Petty Bunco)
Dans le lit d’une rivière asséchée, on est soudain assailli par l’incandescence même, les flammes stoogiennes de nos incontrôlables et interminables dérives. La forêt aux alentours bruisse d’abord de quelques râlements, des vocalises incantatoires qui laissent souvent la place à des battements nerveux ou à un raffût-grondement gravement bricolé, évoquant derrière les descentes de cordes le bruit des arbres qui tombent dans « Fitzcarraldo ». Quand le calme semble revenu sur la rive c’est soudain une boîte à rythme minimaliste qui semble donner la cadence, avant d’être rattrapée par des soufflements et des tricotages plus acides que le venin des ces flèches sorties de l’enfer vert. La musique au plus profond de soi, ses effets sur le corps, le lâcher-prise des secousses, des spasmes, de l’esprit qui se laisse couler complètement dans un environnement sonore puissamment évocateur, gardant la possibilité d’isoler un instrument ou une voix, d’apprécier la pleine liberté créatrice de musiciens guidés par leur seule envie de jouer ensemble, de livrer une vision, aussi vrillée soit-elle: voilà tout ce que m’a évoqué les deux morceaux de cet album improvisé de RRR Band (Ryan Davis de Tropical Trash, Emily Robb et Richie Charles, le boss de Petty Bunco). Numéro un comme disait mon oncle Jean!

Panstarrs « Batee2 » LP (Nashazphone)
Voici ce qui semble être le quatrième album de Youssef Abouzeid, figure de la scène underground égyptienne et il sort sur Nashazphone dont je vous invite également à découvrir les autres sorties récentes. Panstarrs lance ses vagues synthétiques contre des jetées sombres. La houle-boîte à rythme pulse doucement dans la nocturne du Caire, portant des murmures et quelques discrets déchirements électroniques, fragiles vibrations de vie. Les morceaux s’étirent ainsi comme dans une fascinante dérivation urbaine, humidifiés par une douce bruine marine. Quand le rythme se fait plus rapide, plus acide (« khlstmshkla »), ce n’est que de courte durée et c’est pour mieux nous perdre dans des labyrinthes qui auraient certainement intrigués Alan Vega (« 7abeit lwa7dk »). Il y a bien une certaine tendance à descendre dans les sous-sols des boîtes de nuit pour quelques suées où les BPM montent et où les bourdonnements de la ville étourdissent les plus intrépides. Le son s’étouffe, le monde glisse sur la langue (« kntfkrals »), l’esprit s’évade de son bunker-crâne. La descente est doucereuse comme une succession de virages au ralenti, vent de sensations filant le long des falaises, au petit matin. Une belle découverte.

Son of Dribble « Son of Drib Against the Wind » LP (World of Birds)
Quelques semaines après le formidable album de Long Odds, retour à Columbus (Ohio) pour évoquer ce qui semble être le troisième album du groupe Son of Dribble. Même si le nom me dit vaguement quelque chose, je ne connaissais rien de ce groupe. Et le point commun avec les Long Odds – on s’arrêtera sur celui-ci uniquement – est indéniablement un savoir-faire éclatant et une versatalité évidente que l’on perçoit dès les 5-6 premiers morceaux. « End of fits » est une lente montée en lacet entre non-dits et voix inconnues dans les volutes d’un esprit en plein chamboulement, le psychédélisme devient un écrasant soleil-projecteur sur d’antiques stores en lamelles. « Dusty », comme son nom ne l’indique pas, joue dans les coupes claires et rythmées, pop qui tombe bien, pointes de guitare surf-isante, pincées de maracas et de chœurs, les fûtes font de petits moulinets sur les couches basses de l’espace aérien. Je crois bien qu’on danse. Les tonalités se font un peu plus graves, presque country, sur « Drop of blood » avant de se lâcher en 3 accords punk rock, une bonne dose d’orgue et quelques fines embardées guitaristiques sur « Hard to care ». « Be cruel » est la ballade déchirante où l’on tente vainement de mimer le batteur en pleine expiration-soulagement, les poignets bien souples. « Candy Boy » vire new-wave avec un solo guitare bien graisseux alors que « J & Dubuffet » revient à la pop arty que l’on avait pu percevoir précédemment. Bref, le groupe sait tout faire et bien. Il termine même cet album avec l’enlevé « Angels » qui donne envie de découvrir la suite au plus vite.

Puppet Wipes « ​The Stones Are Watching & They Can Be A Handful » LP (Siltbreeze)
Bon il y a d’abord ce nom qui intrigue un peu: Puppet Wipes, c’est assez surréaliste et comme c’est aussi le nom d’un morceau de Tin Huey (groupe de l’Ohio de la fin des 70s dans lequel Ralph Carney, qui a longtemps accompagné Tom Waits et beaucoup d’autres, a fait ses armes) on est tenté de faire le rapprochement. Mais, vous le savez, il n’y a plus que des corridors d’information comme cela donc on se garde d’y rentrer. Ensuite, le groupe est originaire de Calgary, Alberta, Canada, ce qui est n’est pas si fréquent. L’esprit voyage déjà un peu. Enfin et surtout il y a leur musique: elle sort des fissures d’un mur de chambre, elle lézarde les débuts des Residents autant qu’Amos & Sara, elle fait pousser des coquelicots dans des crevasses de béton, elles suinte le malaise à répétition (« I was injured on the job », « The Peeper »…). Il y a des obsessions pour des jambes (« Jenny’s Crurophiliac Fantasy ») tout autant que des références à la proximité des actionnaires en situation assise (« Stockholder Sits Close ») ou aux victimes d’une maladie urologique (« Victims of The Stones Disease »). A moins que je sois passé complètement à côté. Ce qui est tout à fait possible. Trois choses sont sûres: les dégâts sont sérieux, le groupe est en roue libre, l’album est fascinant.

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