The Lloyd Pack « I Bet You’ve Got Some Good Stories » LP (Low Company)
Quatrième album pour ce super groupe anglais comprenant Dan Melchior et Russell Walker (Pheromoans, Bomber Jackets). Si le début du disque ne surprendra pas les amateurs de Melchior – le blues entêtant de « Sue Ryder » par exemple – la suite réserve son lot de déviances savamment distillées autant sur la forme que sur le fond. On citera « Australia » par exemple et son étrange atmosphère lo-fi retro industrielle, entre cut-up spoken word et saillies chantées minimalistes, diction pointue et phonogénie naturelle en bonus. »Tucked U Up » et « Swaddling Jokes » dérivent aussi allègrement dans un univers électronique dépouillé tout en s’articulant avant tout sur des textes qui représentent un défi stimulant pour tout non-anglophone souhaitant saisir un peu de la percussion et de l’humour sec de nos compères. Un des sommets du disque est ce « I have a client waiting », lancinant, presque dansant, de ces danses qu’on fait tout seul quand personne ne nous voit. Le quasi claustrophobique « House of Ten » et le magnifiquement ténébreux « I won’t hit Easter » ne nous préparent que partiellement au superbe « The Deed » et le gospel-de-quai-de-gare-de-grande-banlieue de « Dad Jacket ». Une certaine fascination pour les histoires du Norfolk ne suffit pas à expliquer l’excellence de ce disque.
Schisms « Break Apart the Idea of Separation » LP (Bergpolder)
Effectuons un retour de quelques mois en arrière pour évoquer ce premier LP du trio anglais Schisms sorti sur le label hollandais Bergpolder en édition (beaucoup trop) limitée. Le trio, déjà auteur d’une K7 sur Fort Evil Fruit, comporte notamment Bridget Hayden qui a déjà un pedigree costaud en plus de vingt ans, à la fois en solo et au sein de formations comme Vibracathedral Orchestra, The Telescopes ou à l’occasion Sunburned Hand Of The Man. Cette expérience dans des univers psychédéliques sans compromis se ressent clairement dans cet album qui charrie de puissantes vibrations. Les amplis sont au maximum, la basse est dans le creux de l’oreille, elle tremble comme la terre qui s’ouvre de crevasses, le ciel gronde et se fend entre noir et bleu profond, des touches de poudres rosées s’effaçant progressivement. Des éclats de guitare strient le paysage auditif comme la foudre et des voix fantomatiques, défigurées, se perdent dans ce remuant maelström. L’épique « Vacuum Hesitancy » nous transporte pendant 14 minutes et 51 secondes avant « Phantom Travel », le final de pluie glacée, flûte en bandoulière puis au ras des peaux, à scruter l’eau sur la batterie. A noter qu’une K7 vient également de sortir sur le label Kashual Plastik.
Long Odds « Fine Thread » DL (Self Released)
Envie d’un album à écouter fort, là, tout de suite, maintenant? Je suis tombé sur ce premier album de Long Odds, un groupe de Columbus (Ohio) ville dont on ne dira jamais assez le nombre de groupes formidables qu’elle a pu enfanter. Il semblerait qu’un certain Adam Elliott, rescapé des excellents Times New Viking et Connections, soit de la partie. Il faut écouter les superbes guitares de « Poison Ivy », cette électricité qui file encore et toujours le long des silhouettes, d’Auckland au Midwest: c’est un plaisir simple et sans cesse renouvelé. « We will not survive » peut on entendre dans le morceau titre dans une esquisse lo-fi parfaitement charmante. C’est quand même autre chose que le morceau qui porte le titre contraire et qui nous a cassé les oreilles pendant des années, en France en particulier. « In the knees », le morceau final ménage les nuances avec une savoir-faire peu commun. Quelque part entre les débuts de Tall Dwarfs et les débuts de Guided By Voices, Long Odds impressionne avec ce premier court album qui bénéficiera, je l’espère, prochainement d’une sortie physique (NDR: renseignements pris, c’est prévu, en cassette).
Chronophage « Chronophage » LP (bruit direct disques/Post Present Medium)
Dans les belles eaux de ce troisième album du groupe américain Chronophage coule le sombre poison de la mélancolie et ses reflets argentés donnent à l’occasion des airs de mercure, suscitant l’émerveillement mais aussi une certaine crainte. Dans les deux premiers albums du groupe, il y avait déjà en germe un sens de l’écriture qui sublimait leur punk angulaire et abrasif. Cette écriture est ici mise en avant, la guitare prenant souvent du retrait vis-à-vis des voix et d’une utilisation poussée du synthé, peu commune dans leur scène d’origine. Assumant un certain classicisme et la puissance d’harmonies et d’arrangements particulièrement soignés (« Swimmer », « Cop in psyche », « Spirit in armor »), le groupe construit sa petite forteresse de cristal sur un tas de braises encore fumantes. Quelque part entre Mission of Burma, The Cure et Ryuichi Sakamoto, Chronophage remet l’essentiel sur le dessus en misant tout sur les textes, l’interprétation et ce petit quelque chose indéfiniment indescriptible qui vient de plus profond d’eux (« Black clouds »). La douceur générale en première lecture n’a d’égal que la profondeur de leurs saillies. Un album qui se déguste et se prêtera assurément à de très nombreuses écoutes.
Marie Mathématique « Nos jours étranges » CD (Lunadélia)
Après un premier LP remarquable en 2018 (« Tous vos lendemains dès aujourd’hui »), le duo toulousain est enfin de retour pour un deuxième album. Le groupe cultive toujours un savoir-faire artisanal et un côté touche-à-tout totalement enthousiasmants. Sans se prendre au sérieux, les compos impressionnent indéniablement, à l’image de ce caustique « A la soupe » qui aurait sans doute fait sourire Dutronc et Lanzmann. Slalomant avec finesse et humour entre héritage 60s pop frenchie et bricolages classieux à l’anglaise (Pastels/TVP), le groupe enchaîne les pépites maison parfois plus ambitieuses qu’elles n’y paraissent (« We started something » et ses arrangements bien fignolés ou « I’ve been away », parfaitement enregistré). Marie Mathématique ose mélanger les époques, les styles, les voix mais en gardant en permanence une qualité d’écriture et d’interprétation qui rendent tous leurs morceaux accrocheurs. « Le long sommeil des Incas », troublante divagation psyché sur boîte à rythme rachitique, termine parfaitement ce nouvel opus totalement recommandable.
Smegma « Dives Headfirst Into Punk Rock 1978/79 » CD (Krim Kram)
Collectif culte de l’underground américain, Smegma s’est formé en 1973 en Californie mais a déménagé en 1975 à Portland (Oregon) tout en contribuant largement à la Los Angeles Free Music Society (LAFMS). Ce CD est la réédition d’une K7 parue en 2015 sur le label Pigface et qui donnait un aperçu des premiers enregistrements du groupe à travers des live à Portland (fin des années 70) en compagnie de nombreux invités – comme ça toujours été le cas avec eux – de la scène punk rock / new wave locale dont des futurs membres de Poison Idea (Pig Champion a joué plusieurs fois avec eux). Pour qui n’est pas réfractaire aux live, ce « Dives Headfirst Into Punk Rock » est une plongée incroyable dans le cœur de ce groupe de freaks équilibristes poussant au bout le concept de « groupe sans musiciens ». Se nourrissant d’influences multiples, de Beefheart à Wild Man Fischer en passant par Eric Dolphy, le groupe flanqué de son incroyable Ju Suk Reet Meate (Eric Stewart) démontre ici le merveilleux foutoir provoqué par leurs improvisations et l’usage de bricolages divers (bandes magnétiques, jouets, amplis improbables) tout en gardant une approche résolument punk qui était commune à toute l’incroyable scène locale (Rats, Wipers, Hellcows, Rancid Vat, etc.), beaucoup moins fragmentée qu’on ne pourrait le croire.
Onyon « s/t » CS (U-Bac/Flennen)
La scène punk rock de Leipzig semble toujours aussi vivace si l’on en juge par cette première sortie du groupe Onyon. Frétillements de guitare sale, synthé lugubre, basse Peter-Hookienne, batterie métronome, chant féminin cryptique: le cocktail est classique mais on en redemande dès la fin de la première chanson. Onyon amène son univers déliquescent, « klick » et ça joue des coudes dans le pit comme si on ne s’était jamais arrêté. La chanteuse pousse parfois des lignes de mélodies, les compos claquent souvent en toute simplicité/efficacité (« Shrunken head »). Parfois certaines constructions tentent des pas de travers, des bridges inattendus, des invocations étonnantes (« Shining river Utah ») ou des chœurs qui évoqueraient presque les débuts des grands Freiwillige Selbstkontrolle. Il y a assez de brûlots sur cette cassette déjà épuisée pour mettre le feu dans pas mal de caves et autres bars qui ne demandent qu’un peu d’action pour fondre le désespoir de l’époque dans ce qu’il faut de sonorités incontrôlables.