Tha Retail Simps « Reverberant Scratch: 9 Shots in tha Dark » LP (Total Punk)
Montréal toujours avec le premier album de Tha Retail Simps fraîchement sorti sur Total Punk. Le groupe s’est construit autour de Joe Chamandy du label Celluloid Lunch (également entendu dans Kappa Chow, Protruders, Itchy Self) et Thomas Molander (Feeling Figures, Hélène Barbier band). Il se sont associés avec quelques gloires locales: le guitariste Chris Burns (Terminal Sunglasses, Gens Chrétiens) et le saxophoniste James Goddard (qu’on peut entendre sur le dernier Ought). Le résultat est un hold-up tout en décibels et en postillons, grésillements dans-ta-face, guitares mille-lames et une touche de sax comme des épices bien senties. Quelque part entre Hasil Adkins, Richard Hell et Pussy Galore, « Reverberant Scratch » malaxe avec bonheur rhythm’n’blues originel (une reprise de Rose Baptiste ouvre le disque), envolées guitaristiques fiévreuses (« Love without friction ») dignes des bas-fonds new-yorkais de la fin des 70s et férocité garage-punk dans la lignée des meilleurs combos estampillés Crypt ou In The Red dans les années 90. Mais le groupe est pour la fusion des coeurs: j’en veux pour preuve l’épique « Dozen a dime », slow-tempo ravageur ou encore le clavier moelleux et chatoyant de « 25 Step Program ». Finalement tout leur son est bien résumé avec « Brain & Stomach », un sommet de sauvagerie aussi gouleyante que dégoulinante, un vrai plaisir « Rock’n’Roll » pour reprendre le titre du dernier morceau où leur furie en roue libre fait des merveilles.
The Submissives « Wanna be your thing » LP (bruit direct disques)
Projet de Deb Edison, une musicienne de Montréal, The Submissives est devenu au fil du temps un sextet (mais seulement sur scène d’après ce que je comprends). The Submissives semble en activité depuis 2015 environ mais n’avait sorti pour le moment que quelques K7 (notamment sur Fixture et Egg Paper) et bruit direct disques a donc eu la très bonne idée de sortir le nouvel album en vinyle. The Submissives c’est une pop tordue, déformée par des amours malades (« Sick kinda love »): guitare tantôt claire, tantôt déliquescente, mélodies parfois murmurées, entrelacs soniques minimalistes et tortueux qui reflètent des passions mouvementées. Quelque part entre The Shaggs et Cate Le Bon, The Submissives grave des tangentes à l’acide, ne s’interdisant pas un violon velvetien en renfort (« I’m a mirror ») ou quelques overdubs audacieux et fiévreux (« Four five »). « Wanna be your thing » présente onze variations à la tonalité aigre-douce qui encouragent les dérivations de fin de morceau (« Isnt you ») ou les cordes piquées comme des poupées voodoo (« Think of me »). Dynamiques dépressionnaires sublimées par une finesse, un je-ne-sais-quoi comme un poison invisible sur la pulpe des doigts. Dois-je vous rappeler qu’on est dans un monde de brutes?
https://bruit-direct.org/product/the-submissives-wanna-be-your-thing/
Société Etrange « Chance » LP (Les Disques Bongo Joe)
J’avoue être passé à côté de ce groupe lyonnais et de leur premier album « Au Revoir » sorti en 2015 sur S.K. Les revoilà avec un deuxième LP, cette fois chez les suisses de Bongo Joe. Le son est d’emblée enveloppant/dubby/chaud, ce qui n’est pas de trop dans le contexte actuel. L’album est entièrement instrumental. Le groupe est trio. On semble percevoir une direction puis il y a une terrible descente d’octaves sur « Nute » et on ne sait plus trop où on est. Entre kraut, dub, electronics psychédélique, leur mixture maison a le goût des intérieurs expansifs, univers décontractés s’empilant éternellement au rythme de vagues d’écho ou de motifs synthétiques neo-Carpenter-iens. Les percussions bongo nous guident à travers une jungle électronique étonnante, poly-rythmique, projection d’imaginaires panoramiques curieusement localisés (« A l’intérieur au numéro 97 »). La danse spatiale de « Futur » est celle d’une capsule s’éloignant bien vite de la folie des hommes. « Chance » est une brève mais bien réelle échappée en six morceaux.
Kiloff & The Neighbors « Buch » CS (Syf)
On part en Pologne cette semaine avec une des dernières sorties de l’excellent et prolifique label Syf, basé à Szczecin dans le nord-ouest du pays et apparemment actif depuis environ un an. On apprend sur le bandcamp du label que le collectif Kiloff & The Neighbors était le premier a avoir sorti une cassette sur Syf. « Buch » comprend deux EP déjà sortis en digital ainsi que quelques morceaux inédits. L’enregistrement est entre no-fi et lo-fi mais les morceaux sont tellement brillants qu’on en oublie presque complètement ces considérations techniques. Il faut écouter par exemple « Wariat »: une guitare qui marche de travers et souffle au visage, une batterie lointaine mais à la rythmique trépidante et un chant qui semble tellement incarné que les murs ne pourront jamais l’arrêter. La basse assure le gris plombant d’un ciel qui ne semble laisser aucun espoir mais sur cette inexorable lancée, sur cette trace indélébile du réel, les autres construisent des merveilles de constructions/déconstructions, des numéros d’équilibristes tendus jusqu’à l’âme en amoureux du vide qui ne tombent jamais. Je ne comprends rien aux paroles même si certains morceaux semblent être en partie en anglais. Cependant il me semble clairement déceler des intonations à la Mark E. Smith sur « As I Had To Get The Lufa ». Le morceau suivant, « Please say nie », aux accents presque industriels propose un style de chant complètement différent mais c’est un des sommets de cet album que je vous recommande chaudement (en espérant qu’un nouveau tirage verra le jour prochainement car le premier – 20 copies – est bien sûr déjà épuisé).
Hue Blanc’s Joyless One « s/t » LP (Bancroft)
Quatrième album en plus de quinze ans pour ce groupe américain originaire d’Algoma, Wisconsin. A leurs débuts ils ont contribué à la vitalité de la scène garage/punk de cet état (Mystery Girls, Catholic Boys, Aluminum Knot Eye, Mistreaters, Night Terrors, Goodnight Lovin’…) et au rayonnement de certains labels indépendants comme Dusty Medical ou Trick Knee Productions. Bancroft records était basé à l’origine dans le Michigan et a donc été en contact direct avec tous ces groupes et je suis content de le voir reprendre du service – après 13 ans d’interruption – pour ce disque qui perpétue brillamment un rock’n’roll sauvage, chauffé au meilleur tord-boyaux local et dans le même temps classieux comme un vieil album des Heartbreakers ou de Neil Young (puisque ce sont les deux références que cite Dan Melchior dans un très beau texte de présentation). Les guitares sont absolument superbes sur ce disque: elles ont tout du feu qui crépite dans l’âtre et qui au fur et à mesure que l’alcool monte pousse les esprits dans des territoires à défricher. Casey et Ted assurent vraiment au chant et tout le disque fait l’effet d’une maîtrise remarquable, tout en mid-tempo accrocheurs.
EXEK « Advertise Here » LP (Castle Face)
Déjà le cinquième album du groupe australien EXEK. On retrouve avec plaisir le son qu’ils sont parvenus à polir au fil des années: un son qui évoque des vapeurs enivrantes, un poison lent, subtilement distillé à travers un flux de paroles labyrinthiques, zeitgeist troublant comme l’irisation à la chaîne de caniches transgéniques. Les fondations sont peut-être dub ou kraut mais certaines parties de guitare semblent pencher vers un vieux prog-rock millésimé et le chant brouille les pistes d’une maîtrise remarquable, à l’image d’un ensemble qui incorpore avec beaucoup d’habileté trompette, violon, sitar, synthé…Tenter de l’ingénierie inversée sur « Advertise here » est peine perdue: c’est un empilement de tests covid, soigneusement découpés au millimètre en forme de silhouette canine et qui à un certain endroit, à un certain moment et en présence de certains objets forme en ombre portée le nom du groupe. La sophistication naturelle du groupe est déconcertante, surtout à l’écoute des boom boom métronomiques de la batterie. Mais la basse tisse des cotons de mystère et entraîne avec elle des chambres entières d’échos surprenants où piano, trompette, samples sèment le trouble avec décontraction. Le merveilleux « ID’ed » c’est The Verve qui joue « Bittersweet Symphony » après d’innombrables séjours en Jamaïque et au moins 24 mois dans une grotte suréquipée de matériels à essayer de monter un nouveau Studio One. Chapeau bas!
Stefan Christensen « Atlas Rand » CS (Kashual Plastik)
Vous connaissez peut-être déjà ce musicien du nord-est américain, très actif depuis plusieurs années à travers son label C/Site Recordings mais aussi différents groupes (Estrogen Highs, Headroom, Center…) et surtout son projet solo (plusieurs albums dont un en 2019 sur bruit direct disques). Christensen est adepte d’une musique qui, si elle est centrée principalement autour de la guitare, est surtout l’occasion d’expérimentations lo-fi, dépouillées et puissamment évocatives. Quelque part entre Alastair Galbraith et Bill Callahan, ces morceaux naissent d’une fragilité, de ces cordes qu’on entend vibrer, de ce magnétophone et de ce microphone qu’on entend parfois grésiller. Sur de sinueux sentiers forestiers, le nez dans un nuage laiteux, les sens en éveil, on découvre « Pilgrimage » puis « East Travel On ». Le mouvement est permanent, il a tout d’un faufilement entre fougères, d’un léger rebond sur des mousses moelleuses, d’une brève caresse contre un arbre remarquable, chatouillé au visage par de jeunes feuilles curieuses. Le monde ne nous appartient pas. Il y a des routes qu’on emprunte mais qu’on devra rendre, intactes. Christensen fixe le vide – un long regard les yeux écarquillés – avec la volonté de retranscrire ces frémissements, ces émerveillements qu’il rencontre sur la route. Et c’est beau.
Clear History « Bad Advice Good People » EP (Upset The Rhythm)
Premier mini-album de ce trio berlinois qui reprend une formule déjà fort usée mais avec une fraîcheur renouvelée. Les 6 morceaux de ce premier disque assument clairement leur approche minimaliste: basse ronde, guitare angulaire, triangle de voix pour un résultat quelque part entre Pastels, Slits et Sleater Kinney. Malgré cette géométrie et cette chimie au bon goût de déjà vu, Clear History, comme son nom l’indique, fait aussi – un peu – table rase. Aucun flocon n’est identique à l’autre, vous le savez. Comme indiqué dès le premier titre (« Solar Death Ray »), ils ne sont pas contre un « light a match and watch it drop, let it burn », soit mettre le feu aux poudres si l’on résume (à peine). Quand la distortion frôle les échines, quand le larsen souffle sur les braises, quand le chant se fait plus tranchant, le groupe n’est pas loin de jouer aux pyromanes lignée Gang Of Four (« Presents! ») même s’ils n’ont pas la même concision et aiment à danser autour du feu qu’ils viennent d’allumer. Il est en tout cas très net que Clear History cherche en permanence les étincelles, sans pour autant chercher les projecteurs et le meilleur profil. « I was a fool to be cool » lâchent t-ils même dans un tourbillon de pop crue pour finir ce disque qui fera office de bonne bûche en plein hiver.