Down, Willow

CIA Debutante​ « Down, Willow » (Siltbreeze)
Le vent solaire aux confins de notre magnétosphère. Avez vous écouté le vent solaire aux confins de notre magnétosphère? Le représentant de la NASA fait le poirier en attendant votre réponse. Et moi, pour patienter, je m’immerge dans ce troisième album du duo CIA Debutante. Pendant que Paul manipule ondes et particules avec ce mélange de dextérité et de radicalité, Nathan élabore avec brio des poèmes sur lesquels coule un épais plasma solaire (« Dark ages »). Interférences devenues références. Tempêtes géomagnétiques d’une violence plus si rare, régularité destructrice (« Sleep Walking Architect »). Rongé par ces flux, CIA Debutante étend sa palette de couleurs électroniques avec une approche rétrofuturiste abrasive (« The Cutout Cardboard Silhouette of the Castle »)et du guttural intérieur d’une inquiétante intensité (« Japanese Garden »). Admirant la soie tissée le long des trous coronaux (« The Air Loom »), on oublie définitivement tout ce que peuvent nous cracher les intelligences artificielles et on se laisse gratter le dos par la sonde Parker. Des formes invisibles qui surgissent dans l’ombre d’antichambres ministérielles avec l’odeur d’une poubelle cramée. Esclandres étouffés dans un rendez-vous aussi secret que cotonneux (« Cabinet Minister »), le rachis cervical d’une froideur rigide. Force mentale et sens du sacrifice pour confirmer au tableau la date du jour comme journée mondiale des taches solaires. Leur meilleur album!

Itchy & The Nits « s/t » CS (Warttmann Inc.)
Un autre trio féminin mais cette fois originaire de Sydney, Australie (on y revient). Itchy & The Nits c’est Bethany, Eva et Cin et les sept chansons de cette cassette constituent, il me semble, leur première sortie. Les morceaux sont hyper pêchus et ne dépassent jamais les deux minutes. Tous tapent dans le mille direct comme un bon vieux classique des Ramones revu et corrigé par les Donnas des débuts (à moins que ce ne soit les Bobbyteens). Pour peu de plonger dans ce rythme trépidant, on se retrouve à écouter en boucle ces morceaux d’apparence si évidents, qui relèvent pourtant l’exploit d’allier hargne, technicité et concision. Le primitif et minimal « Goner » est suivi de l’incroyable « Crabs » qui fait monter les accords dans les aigus pour s’accorder à son parler cru. « Dreamboat » tout en crush assumé et le brutal « Beat it Bozo » s’enchaînent aussi parfaitement et irrémédiablement, le son est poussé au maximum. « I’m not listenin » et son refrain hyper accrocheur et répétitif – qu’on a envie de dédier à un certain petit monarque et son blah blah méprisant – achève parfaitement cet EP incendiaire. Vivement la suite!

Olimpia Splendid « 2 » LP (Fonal / Kraak)
On part s’aérer l’esprit le temps d’un album avec les trois finlandaises d’Olimpia Splendid qui sortent ici leur deuxième opus (le premier date de 2015). Les sept minutes et trente-cinq secondes de « Pupuliini » qui ouvre le disque placent déjà la barre très haut: textures répétitives à la guitare, enchevêtrements de voix et de samples bricolés…le morceau dérive déjà le long d’un imaginaire profond, celui qu’on vient chercher là tout de suite maintenant pour s’extraire et tout voir selon un angle – a priori – inédit. Impression confirmée avec « Jacksonin Paita » où le trio nous emmène dans un coin secret qu’elles seules connaissent au gré d’une divagation guidée par des guitares bizarrement accordées et des voix spectrales. Une boîte à rythme qui semble sortie d’une vieille mine propulse « Agda » dans un territoire industriel remuant dans lequel raclent des guitares dont la fine saturation irise les voix d’un spectacle quasi-boréal. Le trio laisse volontiers filer le compteur, celui qui est imposé, pour laisse exploser un long et lent dialogue intérieur, de ceux qui s’étirent très lentement comme le phénix prenant son envol. Ce mouvement s’illustre parfaitement avec le mystérieux « Nicotinella » et ses chuchotements sur le fil. Le dernier morceau « Yolande » mêle le chaud et le froid en ménageant quelques éructations énergisantes avant de sortir la planche à dérailler, celle-là même qui a été bien savonnée pendant toute la durée de cet album absolument superbe.

Dan Melchior Band « Welcome to redacted city » LP (Midnight Cruiser Records)
Où l’on retrouve ce cher Dan Melchior, l’un des plus illustres expatriés anglais outre-Atlantique – précisément à Austin (Texas) depuis peu – et avec un groupe qui prend la suite de sa célèbre Broke Revue. Si je ne me trompe, il a déjà dépassé le cap des quarante albums en près de 25 ans de carrière, c’est dire l’inspiration de notre homme, sachant que tous les albums que j’ai pu écouter sont vraiment très bons et creusent chacun un sillon différent. Ce double album fait à nouveau des merveilles. A titre d’exemple, l’enlevé « The Right influencer » et son garage-rock moderne rutilant met notamment en valeur le clavier d’Anthony Allman, rescapé de la Broke revue et des des trop sous-estimés El Jesus De Magico qui avaient fait les belles heures du label Columbus Discount. On peut citer aussi sur la même lancée le superbe « Apologists, Controversialist, etc ». « Incel Country » parvient sur plus de 6 minutes à donner une impression d’amplitude tout en gardant une lead-guitare nerveuse et déchirante à souhait, comme une sculpture aux angles aigus réalisée en direct et d’un trait. Parfois propulsées par un groove électrifié et distordu, entre blues-rock anglais 70s et kraut-eries psych millésimées, parfois restreintes dans quelques obsessions minimales, les chansons reflètent toute la versatilité de Melchior. Il parsème aussi à l’occasion quelques subtiles références, de Tony TS McPhee (Groundhogs) au personnage d’un film de Mankiewicz. Bref, ne vous privez pas de savourer ce « Welcome to redacted city », remarquable de bout en bout.

Witness K « s/t » LP (ever/never)
On reste en Australie et même à Sydney cette semaine avec ce qui semble bien être le premier album de Witness K. On retrouve dans cette formation un certain Andrew McLellan qui est loin d’être un inconnu puisqu’on lui doit de nombreux disques marquants ces dernières années, de Greg Boring à Cured Pink. L’atmosphère est plutôt posée, méditative, peut-être désabusée à certains moments. Les compositions soignées n’hésitent pas à faire appel à flûte, xylophone ou saxophone pour contrer une guitare qui rode pourtant toujours. Il y a bien la recherche de la fameuse ESP, cette perception extrasensorielle mais elle se fait avec un mélange de douceur et de discrétion qui laisse la place à des chutes de studio, des fins de morceaux non édités, des bruits de circulation automobile, le bruit des vagues. « In Knots » semble être le micro-bruit permanent de nos communications globales, de nos destructions totales sur un fond profondément harmonique d’orgue d’église. « I Wanted The Word Magnetism To Describe Their Relationship », le dernier morceau de l’album mêle accordéon, poésie et un petit entrelac synthétique qui aurait pu être sur le dernier Treasury of puppies à moins que ce ne soit la bande-son au ralenti d’un jeu vidéo low-tech. Un album magnifiquement intriguant et addictif.

Eternal Dust « Spiritual Healers, Defence Lawyers » LP (Lulu’s Sonic Disc Club)
Premier album de ce groupe de Sydney dont le son élégiaque est d’un charme immédiat. Les chansons se font vite caméléon dans les brumes d’un sordide matin glacial qui ne se termine jamais. Il y a d’abord cette basse qui évoque immanquablement Jean-Jacques Burnel et qui contribue à renforcer l’impression d’être en 1985. Mais il faut se sortir cette idée de l’esprit et prendre l’album comme il est, un espace de confluence. Il y a ensuite ce synthé omniprésent qui liquéfie toute la production, impulse ses lents mouvements lunaires, ses points d’orgue et ses digressions. La voix androgyne au possible glisse le plus souvent sur cette combinaison basse/synthé à laquelle la guitare ajoute des ornements scintillants et souvent presque virtuoses. A ce titre « Teddy bear venom » a le charme vaporeux d’un bon vieux Blank Realm. « Seventeen » et ses choeurs fantomatiques est d’un glam-wave évanescent. Prenant souvent la forme d’une dérive faussement macabre sur une gondole dans les sombres ruelles d’un subconscient traversé de flashs blafards, l’album se termine pourtant dans une hallucination trépidante en forme de cavalcade dans un décor irréel (« Cowboy song »). Il n’y a rien de véritablement explicable dans « Spiritual Healers, Defence Lawyers », simplement une petite sensation d’éternité qui germe doucement au fil des chansons comme un énième mirage.

Cheater Slicks « Ill-Fated Cusses » LP (In The Red)
Il est difficile de retranscrire le bonheur intense ressenti dès les premiers accords de « Nude intruder », morceau d’ouverture de ce treizième album studio de Cheater Slicks, légendes de Columbus, Ohio. Il y a la crudité de guitares qui semblent aussi vivaces qu’au premier jour. Il y a ce chant-râle qui semble tellement loin et qui donne l’impression de porter à bout de bras des morceaux aux racines profondes que ces arbres remarquables qui ont marqué nos rétines à jamais. Outre les membres d’origine, les frères Tom & Dave Shannon et Danna Hatch, James Arthur (Fireworks/Necessary Evils) et Will Foster (Guinea Worms) ont également prêté main forte, ce dernier se chargeant même de l’enregistrement (comme il l’avait déjà fait pour leur magistral opus « Walk into sea » en 2007). La reprise de Charlie Feathers, « Cold Dark Night », est d’un beauté qui laisse sans voix. J’ai toujours cru que le propre des grands groupes étaient de parvenir à sublimer des reprises, à effectuer ce petit pivotement qui fait voir la chanson sous un autre angle. Au sommet de sa versatilité et de ses 35 ans de carrière, Cheater Slicks est capable de dérouler un long poème noisy (« Lichen ») autant que des ballades déchirantes comme « Garden of memories », le frénétique garage punk de « Flummoxed by the SNAFU » ou l’épique et larsen-ique « Coming back to me », démontrant qu’on peut manier les coups de masse avec l’élégance d’un escrimeur olympique. Le superbe « Far away distantly » qui clôt l’album synthétise le son du groupe, reconnaissable entre mille, une merveille de grandeur et de caractère. Sale, tordu, sans compromis, ce « Ill-Fated Cusses » fait un bien fou.

Zyklon B Zombies « Skull » LP (Minimum Table Stacks)
Réédition en vinyle d’une K7 sortie en 1993 sur le label Vanilla. Il s’agit du premier album de ce groupe noise japonais monté entre autres par Hirohito Taneguchi et Junko Hiroshige – j’ai déjà eu la chance de voir cette dernière en concert mais je dois reconnaître ici ma grande inculture en noise japonaise donc ne comptez pas sur moi pour multiplier les références. Cet album est d’une grande intensité, c’est un champ de bataille sonore. Le ciel est lacéré, la terre malmenée, corps et esprits souffrent au milieu d’un fracas rarement interrompu par quelques rondes psychédéliques. Les guitares vont bien au delà de leur utilisation première, elles cultivent des blessures, les transcendent, font voler à l’occasion des voix spectrales dans un univers saturé de toute part. C’est une nuée de sensations, d’aiguilles sonores qui viennent furtivement titiller notre silence intérieur comme un moxa brûlant. Dans cette poésie faussement dégénérative, il surnage en permanence un ou plusieurs éléments captivants, incongruités torréfiées, aspérités plus ou moins polies par les décibels, traînées de dérivations guitaristiques empilées dans un grand feu quasi-initiatique. Le cerveau disjoncte (« My brain broken ») devant la surabondance de sollicitations, la densité paroxystique du maelstrom sonore qui parfois contraste avec le groove rachitique d’une boîte à rythme (« Freaks rap »). Un album aussi exigeant que sublime.

Equipment Pointed Ankh « From Inside the House » LP (bruit direct disques)
Je ne sais pas quoi écrire aujourd’hui parce que l’ami Jeanch est parti. Il y a ce disque d’Equipment Pointed Ankh qui vient de sortir. J’avais évoqué leur superbe « Without Human Permission » l’an dernier. Le très rythmé « Rubber Slacks » est une fanfare sous-marine miniature qui se met en marche en frôlant le deuxième oursin sur la gauche, celui qui est un peu planqué. Direction le flipper à base de kelps qui gesticule déjà à leur arrivée. Dans cet environnement troublant qui résiste aux vagues et aux courants, l’électronique clignote beaucoup tout en déraillant doucement, sans perdre le tempo alors que la trompette se bouche. T’étais un peu « L’homme tombé du ciel », avec ce côté anglo-normand extra-terrestre et justement ce disque vient du Kentucky. Y’a pas de secret si ce n’est peut-être le morceau donnant son titre à cet album qui, dans son cœur, s’ouvre à un texte lu d’une voix douce, de celles qu’on se prononce dans les grands fonds marins ou à la la lueur d’une lune généreuse. Les fleurs sont vertes et le fruit ressemble à une olive. C’est un herbier de Posidonie qui se découvre sous nos yeux écarquillés, quelques notes de piano trop aigües ou trop graves, à la traine dans le vortex intérieur. « Swords against the Ritz » s’écoute très fort en se dirigeant vers la sortie qui est au fond de l’espace.

The Drin « Today My Friend You Drunk the Venom » LP (Future Shock/Feel It/Drunken Sailor)
Troisième album de ce groupe de Cincinnati emmené par Dylan McCartney (The Serfs, Crime of passing). « Today My Friend You Drunk the Venom » est un immense boa constricteur qui s’enroule très lentement autour de nos oreilles et exerce ensuite une pression totale provoquant l’achat immédiat. Bon ce n’est pas tout à fait ça mais vous voyez l’image. L’album se construit lentement sur la force d’une intro quasi chamanique et d’un premier morceau (« Venom ») particulièrement vorace, basse/batterie en lancée kraut-esque, synthé qui décroche le ciel illuminé, voix crépusculaire. L’enlacement intervient pendant le dub-esque « Eyes only for space », la basse exerçant sa chaude et forte pression alors que les percussions secouent l’esprit déjà embué par un puissant écho. On en vient ensuite au grand « Stonewallin' », un des sommets du disque, dont le rythme trépidant met en valeur les plis et replis d’une guitare tournoyant dans des teintes jaune-orange, les chœurs oubliant brièvement les micros comme si le morceau sortait de l’enregistrement, devenant un éclat de vie entre nos murs intérieurs. On revient ensuite sur des chemins certes toujours glissants mais gardant cette fugace impression de sombre vérité crue. L’acidité des derniers morceaux et notamment du motorique « Mozart on the wing » prolonge cette conviction que The Drin nous partage ici un poison fascinant et éminemment personnel.

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Supreme Asphalt Doser

Gunslingers « Supreme Asphalt Doser » LP (Opaque Dynamo / Cardinal Fuzz / Feeding Tube Records)
Douze ans après leur deuxième opus, ce sauvage trio français sort un nouvel album, enregistré en 2012, de ses archives. Il ont bien fait!! Le combo de Gregory Raimo avait laissé quelques oreilles brûlées à l’époque et dans l’intervalle plusieurs disques de ses projets parallèles – dont le somptueux et bluesy « Electric Rockin’ Chair  » de l’Hôpital De La Conception – ont bien contribué à prolonger le halo de lave incandescente autour de ses initiales. L’intensité de « Supreme Asphalt Doser » est sans pareil: écoutez « Fierce by contract », écoutez-le bien fort. La guitare devient votre épine dorsale, à vif, et vous ne pouvez vous retenir de vous rouler par terre, dans des spasmes déchirants renforcés par un chant huile-sur-le-feu. La basse est d’une voracité et d’une vélocité digne des dinosaures les plus cruels à avoir jamais foulé cette planète. Toute cette musique sonnera peut-être préhistorique pour certains alors qu’elle n’est qu’un brasier dont l’intensité ne demande qu’à se raviver après avoir connu ses plus belles flambées il y a plus de quatre décennies. « Sucked into the bottom » cherche à descendre en rappel les falaises de l’électricité comme les plus beaux combos japonais – High Rise par exemple pour n’en citer qu’un. Monstrueuse cérémonie païenne, « Supreme Asphalt Doser » est une secousse tellurique et roll autant qu’une virée nerveuse et angoissée le long de nos réminiscences électriques, de nos Be Bop d’outre tombe, ressuscités avec une prouesse volcanique.

Heavy Metal « IV: Counter Electrode Iron Mono » 2LP (Total Punk)
Un double album!! Par où commencer? Si je ne me trompe il s’agit du 4ième LP du groupe allemand Heavy Metal, enregistré en 2018, mais qui sort en vinyle après le cinquième (le faux live « (Live) At The Gas Station Fighting The Devil » sorti en 2021 sur le même label). Ce quatrième opus était déjà sorti en K7 en 2019 sur Static Age. Comme vous pouvez le constater, le groupe est facétieux et adore brouiller les pistes. Les premiers albums – qui n’ont rien d’heavy metal je précise si besoin – avaient déjà fait forte impression mais celui-ci franchit un cap en poussant leur goût de l’absurde et leur éclectisme au maximum. Les coulisses de leur créativité sont vite dévoilées avec le désopilant « Bergadler & A Microphone » : une Pils premium et un micro suffisent à l’affaire. Ensuite c’est une malicieuse virée au sein d’influences multiples – glam, électronique lo-fi, punk, funk et j’en passe – sans craintes sans tabous et surtout pas celui de baptiser un morceau « Kick Out The Jams » une pichenette psyché qui renvoie plus à la rencontre fortuite entre Jesus & Mary Chain et Boards of Canada qu’au Motor City Five. On sent un véritable plaisir d’enregistrement et de mixage comme en témoignent certains empilements en forme de coups de chaud (la fin de « Gasmask Factory II » ou de « Frank Spencer » par exemple). Il y a même deux morceaux de rap fulgurants avec la participation d’un certain Ice « Genius » Brainiac. L’album est gavé de hits incroyables comme le terrible « Sick Note » que n’aurait pas renié Pussy Galore ou le remuant « Room 17 ». Bref, un véritable tour-de-force, Heavy Metal is #1!

Mr Coolos « 666xRSA​/​√​8​.​6​=​drogue » DL (La Benne)
Cette démo est un énorme chien danois agressif à l’entrée de cette année 2023 (bon ok c’est sorti fin Octobre). Sauf que Mr Coolos n’est pas vraiment danois mais plutôt strasbourgeois et comporte quelques noms depuis longtemps fichés par nos services comme Nic Normal (des Squares à Le Chômage, vous devez le connaître) à la guitare, Cheb Samir (des Normals à Trans Upper Egypt, vous devez le connaître) à la batterie ou encore Baron Dimanche (Le Chômage, vous devez le connaître). Une formule un peu sympa à base du nombre de la bête, de l’acronyme du « Revenu de Solidarité Active » et du nom d’une bière plutôt alcoolisée ne suffit pas à résumer l’effet addictif de ces huit morceaux bien rentre-dedans. Si le chant coule parfois c’est pour mieux se faire ailleurs hurlement, de pair avec la saturation guitaristique savamment travaillé à la basse et à la guitare et aux frappes sèches du batteur. Quand une trompette ou un clavier se fraye un chemin dans cette densité totale, le résultat devient hyper inflammable. Le dernier morceau étant un « ? »/question mark qui se termine de manière abrupte après une minute et quarante neuf secondes. Du lourd, du très très lourd.

Smirk « Material » LP (Feel It)
Deuxième album pour le groupe de Nick Vicario dont je vous parlais déjà l’an dernier. Je constate d’abord avec plaisir que Smirk a pris de l’ampleur: là où le premier LP était une compilation de K7, celui-ci présente d’emblée un son plus ample et plus travaillé avec un enregistrement parfait (ainsi qu’un mix et un mastering signé Andrew Oswald de Marbled Eye). Si on retrouve un goût certain pour les sonorités des Saints, Devo, Wire ou plus proche de nous Uranium Club, Smirk se construit avec cet album quelque chose de plus singulier qui les éloigne du « bedroom punk ». Smirk prend un malin plaisir à brouiller les pistes avec des bridges étonnants en forme de fulgurances de l’hyper-espace, des coup de boutoir dans la morosité (« Symmetry »), des antichambres de la réalité (« Total Reality »). Si le propos reste sombre (« Living in hell », « Hopeless »), les morceaux gardent une accroche pop et s’il y a quelques solos, ils sont aussi courts que déchirants. « At the pantomine » atteste peut-être de ce qu’a souhaité Smirk avec ce disque: des morceaux mémorables et évocateurs qui, tels un spectacle de pantomime, disent beaucoup de leurs créateurs avec un « geste » simple et généreux qui n’a cependant rien du mime (malgré les références nombreuses et assumées). Une vraie réussite!

2 Square Y? « The Secret Degree » LP (Emotional Response)
C’est au hasard d’une recherche sur la réédition d’un disque d’Amos & Sara que je tombe sur cet album du vétéran anglais Jim Welton (The Homosexuals, Amos & Sara et plein d’autres sous une myriade d’alias) avec son complice Ted Barrow – avec lequel il avait déjà joué dans Die Trip Computer Die. Le premier morceau et single « The secret degree » m’accrochant pas mal l’oreille je poursuis mon écoute et je reste épaté jusqu’au bout par la fraîcheur de ces chansons avant-pop parfaitement exécutée (arrangements, harmonies, dérivations électroniques occasionnelles), cultivant un humour grinçant (« Morgan Drowning », « Night at the lodge »…) et un éclectisme savoureux à l’image de toutes les compiles Messthetics pour ne citer qu’un exemple venant immédiatement à l’esprit. Le chant est souvent malicieux, les morceaux fourmillent d’idées et témoignent d’une véritable approche « fait maison » qui ne s’encombre pas de guillemets pour slalomer entre pop, folk, new-wave et expérimental. Le morceau final, « I set fire to an angel », plus intimiste et posé, confirme ma première impression sur cet album: une réussite totale.

Alien Nose Job « Stained Glass » LP (Total Punk / Antifade)
Alors que je devrais être en train de réfléchir un peu à cette chronique et à quelle éventuelle justification je peux apporter au fait que – oui – je vais encore écrire sur Alien Nose Job, j’écoute en boucle « Shuffling like coins » et le boogie de ce morceau brûlant me coupe le souffle (danse). Après le fantastique « Paint it clear » l’an passé, Jake Robertson est de retour et a pour l’essentiel délaissé ses synthés au profit d’une bonne vieille guitare, décidé à en découdre avec le son de « légendes locales » comme AC/DC ou Rose Tattoo. Sur le papier ce n’est pas forcément le genre de projet qui m’aurait fait bondir de suite. Mais ce gars sait tout faire, il tente tout et il fait mouche à chaque fois. Même s’il s’est bien lâché sur quelques solos fouillés et électrifiés, Jake garde son approche résolument punk rock. Certes, on est en territoire de « rock à papa » et vous avez raison d’avoir peur mais avec des paroles sarcastiques au possible et ce son chaud et tranchant, Alien Nose Job fait beaucoup plus que réchauffer les plats. Il ne les revisite pas non plus, il les explose comme la mosaïque de la pochette en d’innombrables petits morceaux de « modly dough » (du nom du dernier morceau). Laissez vous aller, « Stained Glass » est un classique à écouter très fort.

Kitchen’s Floor « None of that » LP (Eternal Soundcheck/Petty Bunco)
Quatrième album pour le groupe de Matt Kennedy qui est devenu en 15 ans l’un des grands noms de la scène australienne avec son rock d’effrondrement, toujours un pied dans le vide et au bord du ravin. « None of that » poursuit sur cette sombre glissade tout en gagnant, je trouve, à la fois en tension et en versatilité. Quand « Blood » et « Lousy company » balisent à l’aveugle un chemin hasardeux au bord du précipice avec la douce perversité d’un parc d’attraction illégal tenu par des mafieux, « Expiry » et « Northern Fort » distillent un venin plus insidieux, baignant dans la répétition et la monotonie du quotidien, la froide réalité des choses. Si les arrangements se font parfois plus doucereux, le propos reste d’un réalisme brutal et quelques envolées noise piquantes (« Drink », « Yamsi ») sont les reflets glacés des saturnales passées. Il pleut sur le Tropique du Cancer mais le Tropique du Capricorne est tout aussi malade et cet album sombre et poignant nous le rappelle avec un aplomb remarquable.

Kilynn Lunsford « Custodians Of Human Succession » LP (ever/never)
Inoubliable chanteuse et leader de Little Claw et Taiwan Housing Project, Kilynn Lunsford est allée au fin fond de sa mémoire musicale profonde pour concevoir ce premier album solo. Si la répétitivité et l’apreté du morceau d’ouverture « Reality Testing » est d’une certaine façon dans la lignée de ses groupes précédents, il n’en est pas de même pour de nombreux autres morceaux qui cultivent un délicieux groove de travers. On peut citer l’electro-pop sombre et langoureuse de « Tammy and her friends » (j’ai pensé à ce groupe allemand Rhythm King And Her Friends), le fiel céleste et psychédélique de « Where the moon waits » qui flotte au dessus d’une moelleuse ligne de basse ou l’ambiance synthétique chaloupée qui vire au frénétique de « North Sea Shrimps ». « Three Babies Make Ten » pourrait évoquer un croisement inédit entre Luscious Jackson et Throbbing Gristle quand « No Disabuse » pourrait être la rencontre de MIA et de Malaria. Trouver l’intime dans l’industriel, jouer des frontières entre les sphères, les champs, les styles, filer l’essentiel dans des rythmiques improbables: c’est le pari permanent de ce superbe album comme en témoignent les trois derniers morceaux dont l’épique « Public Private Dream World ».

V/A Thorn Valley 2LP (World of echo)
20 morceaux, deux LP, 500 exemplaires. A l’occasion de ses 4 ans l’excellent disquaire londonien World of echo marque le coup avec une compilation. L’art de la compilation est souvent méconnu ou méprisé mais rassurez vous ce n’est pas vraiment l’objet de cette chronique ou du moins pas seulement. Ces 20 titres sont surtout l’occasion de partager et faire découvrir des artistes qui ont en commun de porter des univers forts, une imagination fertile et communicative. L’instrumental délicat des anglais de Bons, la mélancolie en sous-sol des hollandais de Goldblum ou les allemands robotico-aquatiques de TRjj accrochent l’oreille avec malice. Le proto-industriel galactique de Komare et CIA Debutante ne nous prépare que partiellement aux trépidantes percussions de Valentina Magaletti ou l’acidité digitale de Roxane Métayer. Stefan Christensen puis EXEK, à leurs sommets, nous poussent dans les cordes une nouvelle fois avant que l’on plonge dans la solitude froide et fascinante d’un People Skills ou les envolées stellaires de Mark Gomes. Un tour d’horizon captivant.

Center « Over The Stations » LP (Bruit Direct Disques)
J’avais déjà évoqué ce groupe ici à l’occasion de la sortie d’une K7 sur Regional Bears l’an passé. Avec ce nouvel album, le trio du Connecticut composé de Stefan Christensen, Ian McColm et Dave Shapiro prouve à nouveau l’étendue de sa délicatesse. Jouant sur les nuances autant que sur les sonorités (cordes diverses, carillons, tambours…), Center déploie une musique infiniment aérienne, comme des cerfs-volants sonores pris dans le vent de leurs inspirations/expirations. Des dissonances concrètes et copieuses de « White Pine Oval » à l’épuration quasi totale de « Birds Fall From The Dam » (sorte de sublimation d’une séance d’accordage interrompue par un incident radiophonique) en passant par le bourdonnement aussi austère que fascinant de « Door 5-4 », toute la palette de l’improvisation est mise à l’épreuve, avec un goût certain pour le pastel automnal. Le superbe « Pysvyä », lente descente harmonieuse perlée de delay et de discrets ornements quasi amphibiens se déguste comme les plus belles heures de Windy & Carl. « Over The Stations » est une œuvre fine et subtile qui a de quoi provoquer les plus beaux voyages intérieurs.

The Eye « Breaking the Psychic Hold » CS (Petty Bunco)
The Eye est l’un des nombreux alias d’Anthony Pasquarosa, musicien prolifique du Massachusetts qui s’est fait connaître outre-Atlantique dans des groupes comme World Domination, Gluebag ou Burnt Envelope. Il faut se laisser lentement dériver à l’écoute de cet album. L’enveloppe corporelle se relâche totalement, devient une rivière à l’eau fraîche, claire et vivifiante qui serpente dans des immensités boisées au son d’une guitare lointaine, grinçante, vrillée et répétitive. S’appuyant sur ces motifs sonores, entretenus par une boîte à rythme ancestrale, l’esprit se libère en tournoyant vers la canopée, glissant le long des rayons de lumière comme un poisson retrouvant son élément après en avoir été privé. « Signs of the Alien », « Psychic Bereavement » signalent cette prise de hauteur là où les plusieurs parties de « Dreams of decay » et l’épique « Breaking the Psychic Hold » constatent amèrement les décompositions en cours, l’inextricable chaos, l’insidieux venin. Les boîtes à rythme se multiplient, prolifèrent comme une humidité ravageuse. Les dents tombent en plein cauchemar, le dernier morceau ne dure que 16 secondes, probablement pas beaucoup plus que la fin du monde. Vous savez ce qu’il vous reste à faire.

The Apostles « Best Forgotten » LP (Horn of plenty)
Voici un album présentant les premiers enregistrements du groupe anarcho-punk anglais The Apostles formé en 1979 par William Corbett, Julian Portinari, Dan MacIntyre et Pete Bynghall, rapidement rejoints par le chanteur et parolier Andy Martin et son acolyte Dave Fanning. Ces deux derniers ont constitué le noyau dur du groupe pendant une dizaine d’années. Dans ces morceaux enregistrés avec les moyens du bord dans des squats d’Islington et Hackney entre 1981 et 1983, on est frappé par le goût de l’expérimentation post-punk tous azimuts du groupe et la poésie immédiate de leurs sonorités rudimentaires. Il faut écouter cette ligne de basse carnivore et saturée de « The Cage (parts 1 & 2) » sur fond d’aplats de claviers improvisés ou encore le tricotage guitaristique minimaliste sur fond de boîte à rythme à-bout-de-souffle d' »Alien Asian ». Cela met magnifiquement en valeur les textes qui sont en prise directe avec les tensions de l’époque mais aussi des thématiques parfois plus personnelles. Les bourdonnements de « Red », la frénésie rythmique de « Last train to Hellsville », les errements lo-fi subaquatiques de « Thalidomide », le duo de voix d' »Illegal immigrant » ou l’effervescence de « Shures of time », psychédélisme boueux du meilleur effet, achèvent de me convaincre que ce groupe n’avait pas son pareil. On est plus proche d’Alternative TV ou Nocturnal Emissions que de formations avec lesquelles ils ont souvent été associés comme Crass ou Flux of Pink Indians. Définitivement inoubliable.

Rivi​è​re de Corps « Exilé de l’Aube » CS (Vague à l’Âme / Grande Rousse disques)
Troisième album pour Rivière de Corps, projet solo originaire de Troyes dans l’Aube, comme la commune qui donne son nom à l’artiste. Je prends bien le train en marche je dois dire. Mais cet « Exilé de l’Aube » est d’une intensité rare. Les synthés sont superbes, c’est lacrymal, sanguinaire, distordu à la main comme une broderie de nerfs à vif. Il y a des kicks lents, doomesque, de ceux qui viennent des profondeurs de la fosse et qui font suer les murs de meilleurs bouges. Peut-être devrais je parler de donjon, puisque ça semble être l’étiquette utilisée mais l’étiquette brûle bien sûr, tout crame. « La chair salée » cultive la tension des notes tenues, de celles frisent l’échine alors qu' »Animal factice » ajoute une rythmique saccadée et de lentes descentes d’octaves-organes. La subtilité du chaos finement saturé de Rivière de corps n’a pas laissé insensible Ventre de biche (au mastering) et Cheb Samir (The Normals, Capputtini I Lignu, Trans Upper Egypt…) qui vient prêter main forte sur « Diablo », grand 8 sombre et industriel. « Trou noir », spatial, flottant est une envolée parfaite dans la nuit du monde, un dernier morceau qui donne irrémédiablement envie de voir Rivière de corps en concert, pourquoi pas avec Scorpion Violente qui semblent les grands frères tout trouvés pour une grande messe noire dans un cimetière de proximité.

Smelly Feet « Smelly neu pollution » LP (Minimum Table Stacks)
Première sortie du label américain Minimum Table Stacks, ce « Smelly neu pollution » rassemble en un vinyle trois singles auto-produits et quelques morceaux épars de l’artiste néo-zélandais Smelly Feet sortis en 1981. Plus connu sous son vrai nom de Brent Hayward ou sous son alias Fats White, il fût guitariste de groupes importants de la scène post-punk du pays à l’époque, Shoes This High et Kiwi Animal. Smelly Feet est son projet solo, d’apparence complètement dépouillé, guitare semi accordée et paroles à la face du monde. Mais dès le premier morceau « OHMS » on comprend qu’il plante ses dents dans ses textes et que c’est un peu de son âme qui suinte à chaque chanson. Et qu’importe si ça part dans tous les sens, le monde est chaotique, ses chansons le sont aussi. Ecoutez plutôt « A song for the world », « Vegetable market » ou l’apocalyptique et cinglant « E.O.T.W.I.T. » (End Of The World Is Today) – définitivement à ressortir aujourd’hui. Si le chant se fait parfois un peu plus mélodique (« Masterpiece »), Smelly Feet garde en permanence sa fantaisie et sa causticité (« Walk on by »). Il y a dans cette compilation assez de haut moments de bravoure pour vous aider à passer l’hiver au frais (« Peanuts » pour n’en citer qu’un).

Михаил Минерал « Л​о​б » LP (Inu Wan Wan)
Essentiellement, je ne sais pas parler de ce disque. Mais je vais essayer quand même. Il y a un univers percussif, quasi enfantin souvent strié de saxophone, de paroles en russe, parfois presque incantatoires. Dans la cuisine, le regard perdu dans le monde. Rage des couteaux sur le tefal. Un synthé souterrain semble soudain guider mes interrogations le temps de cut-ups vocaux qui pourraient évoquer Badaboum en roue libre. Le sax, l’accordéon, bourdonnent, se signalent ad libitum avant de laisser place à des bruits de pas, sublimes. Les vocalises de « Балдёж » poussent les imaginaires dans d’interminables escaliers ascensionnels avant que les merveilleux scintillements métalliques de « Velorus » arrondissent d’intrigantes fricatives. La sombre et inquiétante fin de « So » et l’élégant « La Danse » (chanté en français) achèvent de me convaincre de la beauté de cet album. Mikhail Mineral sait s’écouter autant qu’elle écoute ce qui l’entoure. Ses morceaux sont des prolongements d’elle-même, de ses mouvements, de ses convictions. Il y a un mélange de soin et d’improvisation, d’attention et de profonde révolte, de sang et de sueur. Un album d’aujourd’hui, remuant et poussant à la réflexion.

Yuta Matsumura « Red Ribbon » LP (Low Company)
On part en virée cosmique avec Yuta Matsumura, échappé de combos australiens de haut vol comme Low Life, Orion et Oily Boys. L’atmosphère est aussi brumeuse qu’aquatique, on superpose des couches automnales de voix, de basse, de clavier – accompagnées à l’occasion de coulis de flûte et de violon – sur des rythmiques de drumbox, rondes comme les o de Not Not Fun. Subrepticement apparaît le magnifique « Soko No Oto », chanté en japonais par Haruka Sato et la tension mélancolique frise les sommets dans des entrelacs de « ha! » répétitifs sur fonds de dégoulinantes nappes de synthé sublunaires. « Tabula Rasa » file l’onirique et le baroque en cinémascope, presque à la manière d’un EXEK dépouillé de guitares et batterie, attendant patiemment la nuit d’Halloween dans une pénombre inspirante. Malgré quelques rayons lumineux dardant l’obscurité, l’exploration proposée par « E.Potential » est bien celle d’une maison hantée. Mais les fantômes sont des nôtres bien sûr. »No sleep for birds » appuie les voix pour tisser la drama-vie dans un petit écrin transparent. « Zookeeper’s Trial », instrumental au piano-absorbant clôt cet album assez fascinant qui grimpe l’Olympe avec une majestuosité qui tient plus de la grandeur d’âme que des dorures clinquantes.

BZDET « KŁAMCA » CS (Syf Records)
On ne sait pas grand chose sur BZDET si ce n’est que c’est a priori un projet solo, qu’il n’en est plus à son premier album et que ces 12 chansons ont pour thèmes « shitty prime minister, shitty people’s attitude and shitty viagra boys », ce qui me va très bien. Tonalités sombres, quelques touches synthé Chrome-esque et une guitare et une basse qui s’affolent parfois beaucoup mais pendant une durée très limitée. « Katovitze » et « Szczęście » par exemple fixent l’approche: sans compromis, déliquescence générale, montées de buzz psychédéliques et j’en passe. Vient soudain le caustique et dansant « I don’t need Viagra Boyzz », petit hymne subunderground, embué, lo-fi mais pas du tout indie, si vous voyez ce que je veux dire. « Matka Ziemia » et c’est une guitare flageolante en Europe du milieu mettant en lumière la force du propos, au-delà de la langue. Puis un uppercut punk bétonné, drapé de lignes de basse en velours, puis des labyrinthes de punk-boîte-à-rythme sales et remuants aux échos inquiétant et conçus comme de puissantes stimulations nerveuses. Si quelques morceaux frisent la rigidité minimaliste, la plupart empilent habilement des couches de déviances au goût inédit. Une nouvelle sortie percutante du label polonais Syf Records.

David Nance « If You’re Hungry, You Get Fed » CS (Western Records)
David Nance dispose déjà d’une longue carrière depuis des débuts au milieu des années 2000 avec les remarqués Forbidden Tigers puis de nombreuses sorties solo depuis 2012 et plusieurs collaborations, notamment avec Simon Joyner, remarquable musicien également originaire d’Omaha, Nebraska et en activité depuis les années 90. Malgré des accointances certaines avec des labels comme Ba Da Bing, Trouble In Mind ou Petty Bunco, David Nance n’hésite pas à sortir aussi régulièrement des albums de son côté, en autoproduit. C’est le cas pour ce « If You’re Hungry, You Get Fed » qui dispose de la chaleur, de l’intimité et de la liberté d’un enregistrement qu’on ne rattache à aucun enjeu commercial. « See you in Crown Court » et les hommes de loi se font entourer de serpents-maracas dans une ambiance psyché / folk / free noise déjà très incendiaire. « I’m the contact » et on semble voir une certaine filiation s’établir avec pêle-mêle Neil Young, Terry Manning ou Alex Chilton, pour cette écriture à la fois aiguisée, inventive et complètement relax. « Pearly Gates » par exemple c’est d’abord un son de guitare, brûlant ou tout au moins incandescent, un souffle-braise permanent pour toute une petite mécanique maison qui se met en marche tranquillement mais sûrement, cendres-sur-corde, esprits en envol. Les perles s’enchaînent, toutes étincelantes: le sombre « Don’t have faces », le mélancolique « Secret Fox », l’épique « The Way Things Are From That Pickle Jar » et le sublime « No Night Fighter », uptempo impressionnant qui clôt cet excellent album.

RRR Band « s/t » CS (Petty Bunco)
Dans le lit d’une rivière asséchée, on est soudain assailli par l’incandescence même, les flammes stoogiennes de nos incontrôlables et interminables dérives. La forêt aux alentours bruisse d’abord de quelques râlements, des vocalises incantatoires qui laissent souvent la place à des battements nerveux ou à un raffût-grondement gravement bricolé, évoquant derrière les descentes de cordes le bruit des arbres qui tombent dans « Fitzcarraldo ». Quand le calme semble revenu sur la rive c’est soudain une boîte à rythme minimaliste qui semble donner la cadence, avant d’être rattrapée par des soufflements et des tricotages plus acides que le venin des ces flèches sorties de l’enfer vert. La musique au plus profond de soi, ses effets sur le corps, le lâcher-prise des secousses, des spasmes, de l’esprit qui se laisse couler complètement dans un environnement sonore puissamment évocateur, gardant la possibilité d’isoler un instrument ou une voix, d’apprécier la pleine liberté créatrice de musiciens guidés par leur seule envie de jouer ensemble, de livrer une vision, aussi vrillée soit-elle: voilà tout ce que m’a évoqué les deux morceaux de cet album improvisé de RRR Band (Ryan Davis de Tropical Trash, Emily Robb et Richie Charles, le boss de Petty Bunco). Numéro un comme disait mon oncle Jean!

Panstarrs « Batee2 » LP (Nashazphone)
Voici ce qui semble être le quatrième album de Youssef Abouzeid, figure de la scène underground égyptienne et il sort sur Nashazphone dont je vous invite également à découvrir les autres sorties récentes. Panstarrs lance ses vagues synthétiques contre des jetées sombres. La houle-boîte à rythme pulse doucement dans la nocturne du Caire, portant des murmures et quelques discrets déchirements électroniques, fragiles vibrations de vie. Les morceaux s’étirent ainsi comme dans une fascinante dérivation urbaine, humidifiés par une douce bruine marine. Quand le rythme se fait plus rapide, plus acide (« khlstmshkla »), ce n’est que de courte durée et c’est pour mieux nous perdre dans des labyrinthes qui auraient certainement intrigués Alan Vega (« 7abeit lwa7dk »). Il y a bien une certaine tendance à descendre dans les sous-sols des boîtes de nuit pour quelques suées où les BPM montent et où les bourdonnements de la ville étourdissent les plus intrépides. Le son s’étouffe, le monde glisse sur la langue (« kntfkrals »), l’esprit s’évade de son bunker-crâne. La descente est doucereuse comme une succession de virages au ralenti, vent de sensations filant le long des falaises, au petit matin. Une belle découverte.

Son of Dribble « Son of Drib Against the Wind » LP (World of Birds)
Quelques semaines après le formidable album de Long Odds, retour à Columbus (Ohio) pour évoquer ce qui semble être le troisième album du groupe Son of Dribble. Même si le nom me dit vaguement quelque chose, je ne connaissais rien de ce groupe. Et le point commun avec les Long Odds – on s’arrêtera sur celui-ci uniquement – est indéniablement un savoir-faire éclatant et une versatalité évidente que l’on perçoit dès les 5-6 premiers morceaux. « End of fits » est une lente montée en lacet entre non-dits et voix inconnues dans les volutes d’un esprit en plein chamboulement, le psychédélisme devient un écrasant soleil-projecteur sur d’antiques stores en lamelles. « Dusty », comme son nom ne l’indique pas, joue dans les coupes claires et rythmées, pop qui tombe bien, pointes de guitare surf-isante, pincées de maracas et de chœurs, les fûtes font de petits moulinets sur les couches basses de l’espace aérien. Je crois bien qu’on danse. Les tonalités se font un peu plus graves, presque country, sur « Drop of blood » avant de se lâcher en 3 accords punk rock, une bonne dose d’orgue et quelques fines embardées guitaristiques sur « Hard to care ». « Be cruel » est la ballade déchirante où l’on tente vainement de mimer le batteur en pleine expiration-soulagement, les poignets bien souples. « Candy Boy » vire new-wave avec un solo guitare bien graisseux alors que « J & Dubuffet » revient à la pop arty que l’on avait pu percevoir précédemment. Bref, le groupe sait tout faire et bien. Il termine même cet album avec l’enlevé « Angels » qui donne envie de découvrir la suite au plus vite.

Puppet Wipes « ​The Stones Are Watching & They Can Be A Handful » LP (Siltbreeze)
Bon il y a d’abord ce nom qui intrigue un peu: Puppet Wipes, c’est assez surréaliste et comme c’est aussi le nom d’un morceau de Tin Huey (groupe de l’Ohio de la fin des 70s dans lequel Ralph Carney, qui a longtemps accompagné Tom Waits et beaucoup d’autres, a fait ses armes) on est tenté de faire le rapprochement. Mais, vous le savez, il n’y a plus que des corridors d’information comme cela donc on se garde d’y rentrer. Ensuite, le groupe est originaire de Calgary, Alberta, Canada, ce qui est n’est pas si fréquent. L’esprit voyage déjà un peu. Enfin et surtout il y a leur musique: elle sort des fissures d’un mur de chambre, elle lézarde les débuts des Residents autant qu’Amos & Sara, elle fait pousser des coquelicots dans des crevasses de béton, elles suinte le malaise à répétition (« I was injured on the job », « The Peeper »…). Il y a des obsessions pour des jambes (« Jenny’s Crurophiliac Fantasy ») tout autant que des références à la proximité des actionnaires en situation assise (« Stockholder Sits Close ») ou aux victimes d’une maladie urologique (« Victims of The Stones Disease »). A moins que je sois passé complètement à côté. Ce qui est tout à fait possible. Trois choses sont sûres: les dégâts sont sérieux, le groupe est en roue libre, l’album est fascinant.

I Bet You’ve Got Some Good Stories

The Lloyd Pack « I Bet You’ve Got Some Good Stories » LP (Low Company)
Quatrième album pour ce super groupe anglais comprenant Dan Melchior et Russell Walker (Pheromoans, Bomber Jackets). Si le début du disque ne surprendra pas les amateurs de Melchior – le blues entêtant de « Sue Ryder » par exemple – la suite réserve son lot de déviances savamment distillées autant sur la forme que sur le fond. On citera « Australia » par exemple et son étrange atmosphère lo-fi retro industrielle, entre cut-up spoken word et saillies chantées minimalistes, diction pointue et phonogénie naturelle en bonus. »Tucked U Up » et « Swaddling Jokes » dérivent aussi allègrement dans un univers électronique dépouillé tout en s’articulant avant tout sur des textes qui représentent un défi stimulant pour tout non-anglophone souhaitant saisir un peu de la percussion et de l’humour sec de nos compères. Un des sommets du disque est ce « I have a client waiting », lancinant, presque dansant, de ces danses qu’on fait tout seul quand personne ne nous voit. Le quasi claustrophobique « House of Ten » et le magnifiquement ténébreux « I won’t hit Easter » ne nous préparent que partiellement au superbe « The Deed » et le gospel-de-quai-de-gare-de-grande-banlieue de « Dad Jacket ». Une certaine fascination pour les histoires du Norfolk ne suffit pas à expliquer l’excellence de ce disque.

Schisms « Break Apart the Idea of Separation » LP (Bergpolder)
Effectuons un retour de quelques mois en arrière pour évoquer ce premier LP du trio anglais Schisms sorti sur le label hollandais Bergpolder en édition (beaucoup trop) limitée. Le trio, déjà auteur d’une K7 sur Fort Evil Fruit, comporte notamment Bridget Hayden qui a déjà un pedigree costaud en plus de vingt ans, à la fois en solo et au sein de formations comme Vibracathedral Orchestra, The Telescopes ou à l’occasion Sunburned Hand Of The Man. Cette expérience dans des univers psychédéliques sans compromis se ressent clairement dans cet album qui charrie de puissantes vibrations. Les amplis sont au maximum, la basse est dans le creux de l’oreille, elle tremble comme la terre qui s’ouvre de crevasses, le ciel gronde et se fend entre noir et bleu profond, des touches de poudres rosées s’effaçant progressivement. Des éclats de guitare strient le paysage auditif comme la foudre et des voix fantomatiques, défigurées, se perdent dans ce remuant maelström. L’épique « Vacuum Hesitancy » nous transporte pendant 14 minutes et 51 secondes avant « Phantom Travel », le final de pluie glacée, flûte en bandoulière puis au ras des peaux, à scruter l’eau sur la batterie. A noter qu’une K7 vient également de sortir sur le label Kashual Plastik.

Long Odds « Fine Thread » DL (Self Released)
Envie d’un album à écouter fort, là, tout de suite, maintenant? Je suis tombé sur ce premier album de Long Odds, un groupe de Columbus (Ohio) ville dont on ne dira jamais assez le nombre de groupes formidables qu’elle a pu enfanter. Il semblerait qu’un certain Adam Elliott, rescapé des excellents Times New Viking et Connections, soit de la partie. Il faut écouter les superbes guitares de « Poison Ivy », cette électricité qui file encore et toujours le long des silhouettes, d’Auckland au Midwest: c’est un plaisir simple et sans cesse renouvelé. « We will not survive » peut on entendre dans le morceau titre dans une esquisse lo-fi parfaitement charmante. C’est quand même autre chose que le morceau qui porte le titre contraire et qui nous a cassé les oreilles pendant des années, en France en particulier. « In the knees », le morceau final ménage les nuances avec une savoir-faire peu commun. Quelque part entre les débuts de Tall Dwarfs et les débuts de Guided By Voices, Long Odds impressionne avec ce premier court album qui bénéficiera, je l’espère, prochainement d’une sortie physique (NDR: renseignements pris, c’est prévu, en cassette).

Chronophage « Chronophage » LP (bruit direct disques/Post Present Medium)
Dans les belles eaux de ce troisième album du groupe américain Chronophage coule le sombre poison de la mélancolie et ses reflets argentés donnent à l’occasion des airs de mercure, suscitant l’émerveillement mais aussi une certaine crainte. Dans les deux premiers albums du groupe, il y avait déjà en germe un sens de l’écriture qui sublimait leur punk angulaire et abrasif. Cette écriture est ici mise en avant, la guitare prenant souvent du retrait vis-à-vis des voix et d’une utilisation poussée du synthé, peu commune dans leur scène d’origine. Assumant un certain classicisme et la puissance d’harmonies et d’arrangements particulièrement soignés (« Swimmer », « Cop in psyche », « Spirit in armor »), le groupe construit sa petite forteresse de cristal sur un tas de braises encore fumantes. Quelque part entre Mission of Burma, The Cure et Ryuichi Sakamoto, Chronophage remet l’essentiel sur le dessus en misant tout sur les textes, l’interprétation et ce petit quelque chose indéfiniment indescriptible qui vient de plus profond d’eux (« Black clouds »). La douceur générale en première lecture n’a d’égal que la profondeur de leurs saillies. Un album qui se déguste et se prêtera assurément à de très nombreuses écoutes.

Marie Mathématique « Nos jours étranges » CD (Lunadélia)
Après un premier LP remarquable en 2018 (« Tous vos lendemains dès aujourd’hui »), le duo toulousain est enfin de retour pour un deuxième album. Le groupe cultive toujours un savoir-faire artisanal et un côté touche-à-tout totalement enthousiasmants. Sans se prendre au sérieux, les compos impressionnent indéniablement, à l’image de ce caustique « A la soupe » qui aurait sans doute fait sourire Dutronc et Lanzmann. Slalomant avec finesse et humour entre héritage 60s pop frenchie et bricolages classieux à l’anglaise (Pastels/TVP), le groupe enchaîne les pépites maison parfois plus ambitieuses qu’elles n’y paraissent (« We started something » et ses arrangements bien fignolés ou « I’ve been away », parfaitement enregistré). Marie Mathématique ose mélanger les époques, les styles, les voix mais en gardant en permanence une qualité d’écriture et d’interprétation qui rendent tous leurs morceaux accrocheurs. « Le long sommeil des Incas », troublante divagation psyché sur boîte à rythme rachitique, termine parfaitement ce nouvel opus totalement recommandable.

Smegma « Dives Headfirst Into Punk Rock 1978​/​79 » CD (Krim Kram)
Collectif culte de l’underground américain, Smegma s’est formé en 1973 en Californie mais a déménagé en 1975 à Portland (Oregon) tout en contribuant largement à la Los Angeles Free Music Society (LAFMS). Ce CD est la réédition d’une K7 parue en 2015 sur le label Pigface et qui donnait un aperçu des premiers enregistrements du groupe à travers des live à Portland (fin des années 70) en compagnie de nombreux invités – comme ça toujours été le cas avec eux – de la scène punk rock / new wave locale dont des futurs membres de Poison Idea (Pig Champion a joué plusieurs fois avec eux). Pour qui n’est pas réfractaire aux live, ce « Dives Headfirst Into Punk Rock » est une plongée incroyable dans le cœur de ce groupe de freaks équilibristes poussant au bout le concept de « groupe sans musiciens ». Se nourrissant d’influences multiples, de Beefheart à Wild Man Fischer en passant par Eric Dolphy, le groupe flanqué de son incroyable Ju Suk Reet Meate (Eric Stewart) démontre ici le merveilleux foutoir provoqué par leurs improvisations et l’usage de bricolages divers (bandes magnétiques, jouets, amplis improbables) tout en gardant une approche résolument punk qui était commune à toute l’incroyable scène locale (Rats, Wipers, Hellcows, Rancid Vat, etc.), beaucoup moins fragmentée qu’on ne pourrait le croire.

Onyon « s/t » CS (U-Bac/Flennen)
La scène punk rock de Leipzig semble toujours aussi vivace si l’on en juge par cette première sortie du groupe Onyon. Frétillements de guitare sale, synthé lugubre, basse Peter-Hookienne, batterie métronome, chant féminin cryptique: le cocktail est classique mais on en redemande dès la fin de la première chanson. Onyon amène son univers déliquescent, « klick » et ça joue des coudes dans le pit comme si on ne s’était jamais arrêté. La chanteuse pousse parfois des lignes de mélodies, les compos claquent souvent en toute simplicité/efficacité (« Shrunken head »). Parfois certaines constructions tentent des pas de travers, des bridges inattendus, des invocations étonnantes (« Shining river Utah ») ou des chœurs qui évoqueraient presque les débuts des grands Freiwillige Selbstkontrolle. Il y a assez de brûlots sur cette cassette déjà épuisée pour mettre le feu dans pas mal de caves et autres bars qui ne demandent qu’un peu d’action pour fondre le désespoir de l’époque dans ce qu’il faut de sonorités incontrôlables.

Earlier

Zusammen Clark « Earlier » LP (bruit direct disques)
Il est difficile de mieux débuter un disque. « Magyar » est une pépite pop – vous pouvez rajouter C86 si ça vous aimez les références – avec une belle mélodie, de la trompette et ce qu’il faut de bave aux lèvres. On est tout de suite dans un savoir-faire rare de côté-ci de la Manche, sauf si vous vous enfoncez dans le bocage et que vous remontez un peu les années. Zusammen Clark est un groupe formé par des cousins, ils sont deux. Ils ont pris leur temps, entre 2014 et 2016, pour enregistrer les 8 chansons qui composent « Earlier ». Ce groupe traîne son vague à l’âme dans des étendues verdoyantes, parfois noyées d’une pluie-inspiration parfois arrondies des couleurs d’un arc-émerveillement en levant un peu la tête au ciel. Il y a un goût pour la géométrie (« Parallel lines ») qu’on retrouve aussi chez City Band (ce n’est pas un hasard, je n’en dis pas plus). Il y a une envie de mettre la tête dans un lieu lointain (« Ho Chi Minh », « The Postcard »), de chercher une pointe d’exotisme sous les cordes des guitares, de s’imaginer ailleurs. Les choeurs sont soignés, les guitares sonnent bien, Bernard Perrot (Blutt) est passé faire un peu de mastering, c’est de l’artisanal étincelant. Si vous avez toujours vos disques de Luna ou des Pastels à portée de main, si vous cherchez un disque primesautier mais pas moutonnier, ce « Earlier » de Zusammen Clark est ce qu’il vous faut.

Peace de Résistance « Bits & Pieces » LP (Peace de Records)
S’il s’est fait connaître plutôt dans des groupes post-punk ou hardcore punk (Institute, Glue, Recide), le texan Moses Brown développe aussi depuis quelques années des projets parallèles comme Peacetime Death – dans une veine impro lo-fi experimental – ou Peace de Résistance dont la seule trace pour le moment était une K7 fin 2020. Cette K7, intitulée « Hedgemakers », m’avait déjà bien accroché par un talent de composition et d’enregistrement certain, mélangeant allègrement envolées glam fuzz et épices psychédéliques. C’est donc une très bonne nouvelle de le voir revenir avec ce nouvel album qui élargit le spectre tout en confirmant un goût évident pour les « licks » 70s (NY Dolls, Bowie, Iggy, Brett Smiley…), les mid-tempo nocturnes et les variations fuzz décomplexées qui peuvent parfois renvoyer un peu à Ngozi Family et autres Witch (le superbe « Manifest Destiny »). Peace de Résistance assume un côté pop et sombre qui fait des merveilles sur des morceaux comme « Heard your voice » ou « We Got The Right To Be Healthy ». « End of the night » et on longe les murs – pardon on les effleure – alors que la nuit s’étire dans des tiraillements wah-wah. On se laisse filer ensuite dans un voyage immobile sur le bitume mouillé, des images plein la tête (« Sitting In Disguise »). Grand disque.

Chocolat Billy « Le Feu Au Lac » LP (Kythibong / Les Potagers Natures)
Ce groupe bordelais est en activité depuis 20 ans et il s’agit ici de leur huitième sortie. Un album parfaitement versatile dans lequel il faut plonger les oreilles grandes ouvertes. Dès le deuxième morceau, « Au cinéma » on est de nouveau sous le charme du groupe avec ce chant suspendu sur le fil d’une pellicule argentique et cette entêtante mélodie au synthé. Ce groupe s’accorde toutes les libertés et il a bien raison. Par exemple, un changement de rythme en forme d’outro new-wave/surf sur « Watch out! », un brulôt afro-beat intitulé « Jacques revient de la pêche » avec une lignée de synthé presque dance ou encore l’accrocheuse ritournelle « L’orientologue », quelque part entre pop acide des années 60 et funk atypique, sifflements au bec. Les paroles sont souvent déroutantes, surprenantes, filant des approches cinématographiques (« L’appartement »), creusant des mots ou des sonorités jusqu’à la transe (« Devant derrière Californie », « Je danse dans le noir ») ou inventant une nouvelle forme de résistance (« Scutigères flamboyantes versus rats de bureau »). Chocolat Billy est un incroyable groupe de scène qui sait également mijoter des disques joyeusement foutraques. Ils veulent faire danser mais hurler aussi tout ce qu’ils veulent, autant qu’ils veulent. On a besoin de groupes comme ça, longue vie Chocolat Billy!

Straw Man Army « SOS » LP (D4MT Labs Inc/La Vida Es Un Mus Discos)
Parfois je cherche un disque, un disque qui correspond à l’époque. Quand je cherche, je ne trouve pas (vous connaissez la chanson). Quand je ne cherche pas, il apparaît parfois. Le voici, le deuxième album du groupe new-yorkais Straw Man Army après le remarqué « Age Of Exile » en 2020. « Faces in the dark », je l’écoute et je me dis que c’est notre époque: sombre, cruelle, malade, avec une guitare aussi belle que sauvage qui te transperce le bide jusqu’aux entrailles. Il y’a des interludes qui balisent le SOS mais les chansons sont « loud and clear », elles suintent la colère et la frustration. « Day 49 » et le duo de Sean et Owen, qui constitue le noyau de Straw Man Army, fonctionne à merveille: les voix se répondent comme des coups de pelle dans un cimetière mais avec un certain groove. Ce groove persiste sur plusieurs morceaux. Vous connaissez la danse macabre? Oui c’est vrai, ça nous ramène au Moyen-Âge mais ça s’est propagé au cours des temps comme une inquiétude poisseuse dans des moments particulièrement tragiques. Il y a le fondement d’un art mais aussi ce mot « danse » qui « tire en longueur » des mouvements qui s’inspirent de ceux de la vie et de la mort. Ici il y a un xylophone mystérieux, ectoplasmique, qui fait de nombreuses apparitions. Parfois l’espoir n’est qu’un spectre. « The right to be », c’est le dernier morceau de ce très bel album.

Heavenly Bodies « Universal Resurrection » LP (Petty Bunco)
Vous voulez prendre un peu de hauteur? Echapper quelques minutes à la connerie des hommes? Heavenly Bodies, trio de Philadelphie pose là son deuxième album, essentiellement constitué de l’épique « Universal Resurrection ». Il s’agit d’aller se frotter à la voie lactée, renifler un peu des étoiles, se laisser flotter dans un grand vide intergalactique, chercher la dérivation ultime, celle qui assure la paix des esprits. Heavenly Bodies s’y prend admirablement bien. Ils creusent un sillon dans lequel ne coule pas le moindre sang, tirent lentement le fil des astres filants, se mélangent doucement mais sûrement aux mouvements de ces entités (objets-corps-divinités, on s’y perd) qui tournoient au dessus de nos têtes dans un grand ballet cosmique, grande tambouille du hasard, toupie des toupies. C’est une immensité à laquelle ils donnent une bande-son, déroulant la puissance du trio avec la malice de l’apesanteur, les yeux grands ouverts sur une planète qui brûle et s’éloigne irrémédiablement. C’est un dialogue, une tentative de dialogue avec l’espace infini, celui que notre imagination de pourra jamais appréhender en totalité. Ce psychédélisme est un feu de joie de l’esprit, d’incessant signaux de fumée pour signaler une présence, faire un signe. Si l’amplitude est recherchée, le propos reste humble, terrien, c’est de la sueur qui coule entre les astres. Avec pas mal d’élégance.

Anadol « Felicita » LP (Pingipung)
Troisième album pour l’artiste turque Anadol – de son vrai nom Gözen Atila – qui, après un passage par Berlin, semble actuellement s’être installée à Istanbul. Je vous épargnerai ici les envolées lyriques sur le délicat équilibre entre « tradition et modernité » et autres considérations annexes pour journalistes paresseux. Essayons de parler de la musique. Ce n’est pas simple. Anadol s’appuie sur quelques musiciens chevronnés de la scène d’Istanbul (The Ringo Jets, Eskiz…) pour développer une mixture psychédélique du meilleur effet entre bourdonnements électroniques, lancinance kraut, collages vocaux expérimentaux et quelques très brèves embardées guitaristiques. « Gizli Duygular », l’hypnotique premier morceau de neuf minutes et quarante secondes, en est un bon exemple. Il y a une facilité chez Anadol pour créer des kaléidoscopes, des arabesques sonores qui convoquent ponctuellement saxophone et/ou clarinette sur des nappes de synthé, des explorations que certains colleront parfois dans le jazz par facilité alors que le spectre me semble très large. Et puis il y a cette ritournelle sompteuse « Ablamın Gözleri », comme une Noir Boy George du Bosphore. L’épique instrumental « İstasyon Plajında Bir Tren Battı » évoque des artistes défricheurs comme Rashad Becker alors que « Felicita » fait le pont avec « Ablamin Gözleri ». Complexe, nuancée, frôlant des immensités comme des intimités, jouant habilement sur les densités et les rythmiques, la musique d’Anadol est d’une délicieuse ivresse.

Treasury of Puppies « Mitt Stora Nu » LP (Discreet)
Après un premier album très remarqué il y a deux ans, le duo Treasury of Puppies – basé à Gothenburg – est de retour pour un nouvel opus tout aussi intriguant. Adeptes des collages sonores, d’une certaine forme de minimalisme et des sonorités de la langue suédoise pour exprimer une certaine douleur morale (« Rotten Apples Of Love »), on serait tenté de trouver beaucoup de mélancolie dans les 9 morceaux de « Mitt Stora Nu ». Pourtant, il y a par exemple dans « Bränna Känna » une mélodie synthétique aux parfums printaniers certes presque surannés mais à l’aura quasi céleste. Orgue et piano se mélangent dans un recoin de crypte, le goût est aussi aigre que sûr, les voix de Charlott Malmenholt et Joakim Karlsson se répondent, se superposent, grimpent avec assurance dans l’espace qui n’est clos que les yeux ouverts. Humant leurs humeurs avec la musique sous les doigts, c’est tantôt le vague à l’âme (« Koka En Vit Orm »), tantôt ce qui ressemble à une esquisse rythmée, un coup d’oeil d’artiste mis en musique (« Dödens Soffa »). C’est sur le titre qui donne son nom à l’album que l’on semble toucher un peu de l’essence profonde du groupe: des clapotis marins, quelques boucles de guitare, une voix fragile, tout en transparence poétique: à son écoute on voit le monde sous un autre angle, dans d’autres couleurs. « En Blick I Blicken » clôt le disque avec la finesse de la fin d’un après-midi qui s’étire, le long d’un ruisseau, à peine troublé par une petite mouche.

Tan « The Tan Side Of Lonesome » LP (Stochastic Releases)
Voilà un moment que je voulais vous parler de cet album mais j’attendais qu’il soit enfin disponible, il y a eu un peu de retard au pressage. Il s’agit du troisième disque de l’américain Nathan Snell, le premier était sorti en 2016 sur le même label, basé à Grenoble. Le concept du disque part d’une discussion entre Nathan et sa complice Dixie qui lui a proposé l’idée d’un album de reprises de classiques country. Facétieux et éclectique, Nathan a poussé l’idée jusqu’à un disque de reprise de chansons country contemporaines (années 1980 à 2010) mais avec boîte à rythme et synthé. Pour ce musicien accompli qui a grandi dans l’Ohio et qui vit depuis 10 ans à Nashville, cette prise de risque est le stimulus qui lui fallait pour réussir une fois de plus le tour de force d’un disque entièrement réussi. Il faut dire qu’il n’a jamais eu de mal à slalomer entre country, synth-pop et mille autres « genres », ces étiquettes toutes faites, toutes nulles. Si le « High Horse » de Kacey Musgraves, déjà très dansant, « semble » l’exercice le plus facile, il n’en est pas de même, par exemple, pour le dégoulinant « Straight Tequila Night » interprété par Jon Anderson en 1991 et qui devient ici un imparable tube italo disco. De même, Tan imprime toute sa mélancolie synthétique sur « Me and You » de Ray Herndon ou « Amarillo By Morning » de George Strait. Plus qu’une curiosité, ce disque est un virtuose exercice de style qui fera peut-être grincer certaines dents mais toujours sur le dancefloor.

Reverberant Scratch

Tha Retail Simps « Reverberant Scratch: 9 Shots in tha Dark » LP (Total Punk)
Montréal toujours avec le premier album de Tha Retail Simps fraîchement sorti sur Total Punk. Le groupe s’est construit autour de Joe Chamandy du label Celluloid Lunch (également entendu dans Kappa Chow, Protruders, Itchy Self) et Thomas Molander (Feeling Figures, Hélène Barbier band). Il se sont associés avec quelques gloires locales: le guitariste Chris Burns (Terminal Sunglasses, Gens Chrétiens) et le saxophoniste James Goddard (qu’on peut entendre sur le dernier Ought). Le résultat est un hold-up tout en décibels et en postillons, grésillements dans-ta-face, guitares mille-lames et une touche de sax comme des épices bien senties. Quelque part entre Hasil Adkins, Richard Hell et Pussy Galore, « Reverberant Scratch » malaxe avec bonheur rhythm’n’blues originel (une reprise de Rose Baptiste ouvre le disque), envolées guitaristiques fiévreuses (« Love without friction ») dignes des bas-fonds new-yorkais de la fin des 70s et férocité garage-punk dans la lignée des meilleurs combos estampillés Crypt ou In The Red dans les années 90. Mais le groupe est pour la fusion des coeurs: j’en veux pour preuve l’épique « Dozen a dime », slow-tempo ravageur ou encore le clavier moelleux et chatoyant de « 25 Step Program ». Finalement tout leur son est bien résumé avec « Brain & Stomach », un sommet de sauvagerie aussi gouleyante que dégoulinante, un vrai plaisir « Rock’n’Roll » pour reprendre le titre du dernier morceau où leur furie en roue libre fait des merveilles.

The Submissives « Wanna be your thing » LP (bruit direct disques)
Projet de Deb Edison, une musicienne de Montréal, The Submissives est devenu au fil du temps un sextet (mais seulement sur scène d’après ce que je comprends). The Submissives semble en activité depuis 2015 environ mais n’avait sorti pour le moment que quelques K7 (notamment sur Fixture et Egg Paper) et bruit direct disques a donc eu la très bonne idée de sortir le nouvel album en vinyle. The Submissives c’est une pop tordue, déformée par des amours malades (« Sick kinda love »): guitare tantôt claire, tantôt déliquescente, mélodies parfois murmurées, entrelacs soniques minimalistes et tortueux qui reflètent des passions mouvementées. Quelque part entre The Shaggs et Cate Le Bon, The Submissives grave des tangentes à l’acide, ne s’interdisant pas un violon velvetien en renfort (« I’m a mirror ») ou quelques overdubs audacieux et fiévreux (« Four five »). « Wanna be your thing » présente onze variations à la tonalité aigre-douce qui encouragent les dérivations de fin de morceau (« Isnt you ») ou les cordes piquées comme des poupées voodoo (« Think of me »). Dynamiques dépressionnaires sublimées par une finesse, un je-ne-sais-quoi comme un poison invisible sur la pulpe des doigts. Dois-je vous rappeler qu’on est dans un monde de brutes?
https://bruit-direct.org/product/the-submissives-wanna-be-your-thing/

Société Etrange « Chance » LP (Les Disques Bongo Joe)
J’avoue être passé à côté de ce groupe lyonnais et de leur premier album « Au Revoir » sorti en 2015 sur S.K. Les revoilà avec un deuxième LP, cette fois chez les suisses de Bongo Joe. Le son est d’emblée enveloppant/dubby/chaud, ce qui n’est pas de trop dans le contexte actuel. L’album est entièrement instrumental. Le groupe est trio. On semble percevoir une direction puis il y a une terrible descente d’octaves sur « Nute » et on ne sait plus trop où on est. Entre kraut, dub, electronics psychédélique, leur mixture maison a le goût des intérieurs expansifs, univers décontractés s’empilant éternellement au rythme de vagues d’écho ou de motifs synthétiques neo-Carpenter-iens. Les percussions bongo nous guident à travers une jungle électronique étonnante, poly-rythmique, projection d’imaginaires panoramiques curieusement localisés (« A l’intérieur au numéro 97 »). La danse spatiale de « Futur » est celle d’une capsule s’éloignant bien vite de la folie des hommes. « Chance » est une brève mais bien réelle échappée en six morceaux.

Kiloff & The Neighbors « Buch » CS (Syf)
On part en Pologne cette semaine avec une des dernières sorties de l’excellent et prolifique label Syf, basé à Szczecin dans le nord-ouest du pays et apparemment actif depuis environ un an. On apprend sur le bandcamp du label que le collectif Kiloff & The Neighbors était le premier a avoir sorti une cassette sur Syf. « Buch » comprend deux EP déjà sortis en digital ainsi que quelques morceaux inédits. L’enregistrement est entre no-fi et lo-fi mais les morceaux sont tellement brillants qu’on en oublie presque complètement ces considérations techniques. Il faut écouter par exemple « Wariat »: une guitare qui marche de travers et souffle au visage, une batterie lointaine mais à la rythmique trépidante et un chant qui semble tellement incarné que les murs ne pourront jamais l’arrêter. La basse assure le gris plombant d’un ciel qui ne semble laisser aucun espoir mais sur cette inexorable lancée, sur cette trace indélébile du réel, les autres construisent des merveilles de constructions/déconstructions, des numéros d’équilibristes tendus jusqu’à l’âme en amoureux du vide qui ne tombent jamais. Je ne comprends rien aux paroles même si certains morceaux semblent être en partie en anglais. Cependant il me semble clairement déceler des intonations à la Mark E. Smith sur « As I Had To Get The Lufa ». Le morceau suivant, « Please say nie », aux accents presque industriels propose un style de chant complètement différent mais c’est un des sommets de cet album que je vous recommande chaudement (en espérant qu’un nouveau tirage verra le jour prochainement car le premier – 20 copies – est bien sûr déjà épuisé).

Hue Blanc’s Joyless One « s/t » LP (Bancroft)
Quatrième album en plus de quinze ans pour ce groupe américain originaire d’Algoma, Wisconsin. A leurs débuts ils ont contribué à la vitalité de la scène garage/punk de cet état (Mystery Girls, Catholic Boys, Aluminum Knot Eye, Mistreaters, Night Terrors, Goodnight Lovin’…) et au rayonnement de certains labels indépendants comme Dusty Medical ou Trick Knee Productions. Bancroft records était basé à l’origine dans le Michigan et a donc été en contact direct avec tous ces groupes et je suis content de le voir reprendre du service – après 13 ans d’interruption – pour ce disque qui perpétue brillamment un rock’n’roll sauvage, chauffé au meilleur tord-boyaux local et dans le même temps classieux comme un vieil album des Heartbreakers ou de Neil Young (puisque ce sont les deux références que cite Dan Melchior dans un très beau texte de présentation). Les guitares sont absolument superbes sur ce disque: elles ont tout du feu qui crépite dans l’âtre et qui au fur et à mesure que l’alcool monte pousse les esprits dans des territoires à défricher. Casey et Ted assurent vraiment au chant et tout le disque fait l’effet d’une maîtrise remarquable, tout en mid-tempo accrocheurs.

EXEK « Advertise Here » LP (Castle Face)
Déjà le cinquième album du groupe australien EXEK. On retrouve avec plaisir le son qu’ils sont parvenus à polir au fil des années: un son qui évoque des vapeurs enivrantes, un poison lent, subtilement distillé à travers un flux de paroles labyrinthiques, zeitgeist troublant comme l’irisation à la chaîne de caniches transgéniques. Les fondations sont peut-être dub ou kraut mais certaines parties de guitare semblent pencher vers un vieux prog-rock millésimé et le chant brouille les pistes d’une maîtrise remarquable, à l’image d’un ensemble qui incorpore avec beaucoup d’habileté trompette, violon, sitar, synthé…Tenter de l’ingénierie inversée sur « Advertise here » est peine perdue: c’est un empilement de tests covid, soigneusement découpés au millimètre en forme de silhouette canine et qui à un certain endroit, à un certain moment et en présence de certains objets forme en ombre portée le nom du groupe. La sophistication naturelle du groupe est déconcertante, surtout à l’écoute des boom boom métronomiques de la batterie. Mais la basse tisse des cotons de mystère et entraîne avec elle des chambres entières d’échos surprenants où piano, trompette, samples sèment le trouble avec décontraction. Le merveilleux « ID’ed » c’est The Verve qui joue « Bittersweet Symphony » après d’innombrables séjours en Jamaïque et au moins 24 mois dans une grotte suréquipée de matériels à essayer de monter un nouveau Studio One. Chapeau bas!

Stefan Christensen « Atlas Rand » CS (Kashual Plastik)
Vous connaissez peut-être déjà ce musicien du nord-est américain, très actif depuis plusieurs années à travers son label C/Site Recordings mais aussi différents groupes (Estrogen Highs, Headroom, Center…) et surtout son projet solo (plusieurs albums dont un en 2019 sur bruit direct disques). Christensen est adepte d’une musique qui, si elle est centrée principalement autour de la guitare, est surtout l’occasion d’expérimentations lo-fi, dépouillées et puissamment évocatives. Quelque part entre Alastair Galbraith et Bill Callahan, ces morceaux naissent d’une fragilité, de ces cordes qu’on entend vibrer, de ce magnétophone et de ce microphone qu’on entend parfois grésiller. Sur de sinueux sentiers forestiers, le nez dans un nuage laiteux, les sens en éveil, on découvre « Pilgrimage » puis « East Travel On ». Le mouvement est permanent, il a tout d’un faufilement entre fougères, d’un léger rebond sur des mousses moelleuses, d’une brève caresse contre un arbre remarquable, chatouillé au visage par de jeunes feuilles curieuses. Le monde ne nous appartient pas. Il y a des routes qu’on emprunte mais qu’on devra rendre, intactes. Christensen fixe le vide – un long regard les yeux écarquillés – avec la volonté de retranscrire ces frémissements, ces émerveillements qu’il rencontre sur la route. Et c’est beau.

Clear History « Bad Advice Good People » EP (Upset The Rhythm)
Premier mini-album de ce trio berlinois qui reprend une formule déjà fort usée mais avec une fraîcheur renouvelée. Les 6 morceaux de ce premier disque assument clairement leur approche minimaliste: basse ronde, guitare angulaire, triangle de voix pour un résultat quelque part entre Pastels, Slits et Sleater Kinney. Malgré cette géométrie et cette chimie au bon goût de déjà vu, Clear History, comme son nom l’indique, fait aussi – un peu – table rase. Aucun flocon n’est identique à l’autre, vous le savez. Comme indiqué dès le premier titre (« Solar Death Ray »), ils ne sont pas contre un « light a match and watch it drop, let it burn », soit mettre le feu aux poudres si l’on résume (à peine). Quand la distortion frôle les échines, quand le larsen souffle sur les braises, quand le chant se fait plus tranchant, le groupe n’est pas loin de jouer aux pyromanes lignée Gang Of Four (« Presents! ») même s’ils n’ont pas la même concision et aiment à danser autour du feu qu’ils viennent d’allumer. Il est en tout cas très net que Clear History cherche en permanence les étincelles, sans pour autant chercher les projecteurs et le meilleur profil. « I was a fool to be cool » lâchent t-ils même dans un tourbillon de pop crue pour finir ce disque qui fera office de bonne bûche en plein hiver.

The Reluctant DIRECTOR

Celebrity Handshake « The Reluctant Director » LP (Eastern Prawn)
Trio américain basé à Portland dans le Maine et que je ne connaissais pas du tout. Je suis tombé dessus au hasard de clics hasardeux et après avoir épluché de longues et ennuyeuses listes de « best of » de l’année 2021. De ce que je comprends « The Reluctant Director » est la réédition partielle en vinyle de 3 morceaux parus sur un CD en 2018. Actif depuis 2016 le groupe a déjà sorti 4 albums et une floppée de maxis – dont celui-ci – sur ce qui semble être leur label, Eastern Prawn. Le raffut de Celibrity Handshake fait vraiment plaisir en ce début d’année où on a tous besoin d’un bon coup de pied au derrière – oops je généralise inutilement. Dans la lignée des groupes garage lo-fi/proto-punk les plus sauvages de la fin des années nonante et du début des années 2000, Celibrity Handshake est là pour tout mettre dans le rouge: guitares abrasives au possible, bribes de batteries tribales et éructations extrêmes au microphone. Les fans de certains groupes fondateurs de l’underground punk US comme The Screemin Mee-mees et MX-80 Sound et des fous furieux de la scène japonaise (Guitar Wolf, King Brothers, etc.) devraient s’y retrouver.

Ghédalia Tazartès « Gospel et le râteau » LP (Bisou)
Voici l’ultime album de Ghédalia Tazartès, décédé en Février 2021. L’album est composé de morceaux inédits choisis dans les archives de l’artiste. Le propos n’est pas ici de faire une nouvelle présentation de Tarzartès, poète et musicien autodidacte, figure inclassable de la scène expérimentale française pendant près de quarante ans. Décrire l’univers de Tazartès est d’ailleurs quasi impossible, c’est de l' »impromuz » comme il le dit lui même, un enchevêtrement, des superpositions de voix (souvent très différentes les unes des autres et toutes interprétées par lui) et de couches d’instruments enregistrés. Il y a « Le crapeau, dansé », beau comme une déclaration solitaire face à l’inconnu. Il y a « Le râteau », l’étrange et « Le Gospel », la transe. Les deux sous formes de vignettes, intenses, troublantes. « Histoires d’amour » et « Enfance » ont assez de singularités pour faire face au poids des mots, des titres. Puis tout s’enchaîne aussi vite que la vie: « Gospel et le râteau » – oui les deux réunis puis texte, musique, texte, poésies mises en musique (notamment l’épique « Supplément aux lettres de Rodez » d’Antonin Artaud en clôture), musique mise en poésie. La voix de Tazartès, sa vision éclate à nouveau « sans tambour ni trompettes ». Et une irrépressible envie de se (re)plonger dans toute sa discographie.

Les Coronados « N’importe quoi » LP (Mono-Tone)
Un sacré graal garage rock frenchie qui est ici réédité! Cet album des Coronados, sorti à l’origine en 1984, n’avait connu qu’une réédition CD dans les années 90 et n’était donc plus disponible en vinyle à prix raisonnable depuis belle lurette. Le label niçois Mono-Tone, mené de main de maître par un membre des Dum Dum Boys – ne manquez pas au passage son projet solo Memphis Electronic – a donc eu le nez fin de s’attaquer à ce manque terrible. Les Coronados, c’est un groupe assez classieux qui maîtrisait ses Flamin Groovies, Captain Beefheart, Alex Chilton et autres Kevin Ayers sur le bout des doigts tout en ayant digéré une bonne partie de la scène 60s française. De plus, ils sont parvenus à faire sonner le français, sans prétention, avec un mélange de sauvagerie et de finesse. Il y a un peu de décrochage de mâchoire (« Ce soir »), il y a des décompositions de mots parfois surprenantes (« Toujours tout seul ») mais surtout beaucoup de rythme et des coups de chaud bien sentis (« Revanche »). Et puis il y a un véritable talent d’écriture (« Il y a ce que je veux faire, ce que j’ai à faire et oh je pense ce que je devrais faire » sur « Oh oh oh ») au service d’une musique tantôt de cuir, tantôt de velours qui devait être vraiment accrocheuse sur scène.

dUST

CIA Debutante « Dust » LP (Siltbreeze)
Un choix évident pour cette chronique: le deuxième album duo CIA Debutante fraîchement sorti sur Siltbreeze. Un disque gabber en slowmo fractalisé sur le pare-brise de nos vies. Enfin non, ce n’est sans doute pas du gabber mais l’intensité est au rendez-vous. « Decomposing composition » est un petit escalier recouvert d’une épaisse moquette qui file vers les pourritures du fin fond de nos cerveaux, il y a des morceaux de neurones qui finissent par tomber dans un grand fracas. La musique a pris beaucoup d’amplitude depuis les débuts, minimalistes et rugueux. « People who wait » est un des sommets de l’album, un élégant condensé de sagesse vite dilué dans les déviances acides de fin de nuit du morceau suivant, « The chair ». Mark E Smith et Graham Lambkin boivent du petit lait dans la chambre d’à côté. Bitume mouillé, cafetière abandonnée en pleine utilisation, clair de lune dans le dos, sueur au front et sur les murs. L’épique dernier morceau, « The Janitor » est un clin d’oeil bien inquiétant à leur premier album « The Landlord ». De l’autre côté du miroir, de l’autre côté du désordre du monde, de l’autre côté de cette montagne-vie? Des cordes qui cassent, une chute infinie? Il faut bien dire que ça ne ressemble pas à un doux vol plané. CIA Debutante cultive son « élevage de poussière » avec brio.

Dan Melchior « Other Odes and Further Excursions » CS (Cudighi Records)
Cet album est la suite de la K7 « Odes » sortie en Décembre 2020 sur le même label. Sur ces enregistrements datant de 2016, le prolifique Dan Melchior s’exprime de la manière la plus personnelle qui soit sur la perte d’un être cher, la formidable Letha Rodman Melchior (dont je vous recommande aussi les disques). Je ne sais pas comment il fait. Il y a dans ces instrumentaux une puissance émotionnelle incroyable. Je crois qu’il ne faut pas chercher à expliquer mais juste à écouter, au plus profond de soi, comment ces morceaux trouvent une telle résonance. Je commencerais par le dernier morceau « Continuation of a theme », il est construit sur le silence. Le piano et la guitare sont portés par le silence. A la gomme un monde semble se créer. Les textures, la réverbération, les nuances tissent des fils de soie quasi invisibles sur lesquels on glisse prudemment, toujours à la lisière du dramatique mais sans jamais y tomber. On file dans des échos improbables le long de sombres murs rugueux modelés par une guitare-guide. « Apology » joue sur les tonalités, les superpositions, l’enchevêtrement des souvenirs pour nous emmener invariablement dans un grand kaléïdoscope dans lequel il faudra lâcher la rampe. Car oui, ça y est, on nage dans le mercure, un mercure qui tremble d’électricité argentée. On continue ainsi à frôler ses émotions, toucher sa finitude avec une curiosité aussi désespérée que frictionnante (« A Heath For Leth »). « Rubber City » est une virée sur l’asphalte brûlante pour essayer de tout oublier en poussant les champignons jusqu’aux tréfonds de la planète. La lave nous coule le long du corps. Puis la boue. Mais c’est une boue fine, une mousse qui prend tout l’espace, les yeux, l’imaginaire, le monde (« Loam »). La plus haute recommandation pour cette cassette.

Low Life « From Squats To Lots: The Agony And XTC Of Low Life » LP (Alter/Lulus Sonic Disc Club/Goner)
Troisième album de Low Life, l’un des grands groupes de la scène musicale australienne actuelle. Leurs premiers enregistrements aux débuts des années 2010 pouvaient être rapidement rattachés à l’effervescence de la scène garage/punk/lofi des antipodes mais ils ont développé depuis une approche plus singulière et un son distinctif. Low Life apporte une approche et une énergie hardcore punk (disons Discharge, Poison Idea mais aussi Oily Boys où deux d’entre eux officient) à des chansons qu’ils présentent malicieusement comme inspirées d’albums solo d’Iggy Pop – lisez donc l’hilarant texte de présentation du disque – comme « The Idiot » et « Lust for life » mais aussi les Stooges de manière générale. Bon tout cela est du bon blah blah pour journalistes paresseux. On se fiche bien sûr des références, des étiquettes. Low Life comme son nom l’indique traîne son mal-être de « bande » dans les ruelles sombres d’un pays dans lequel ils ne se reconnaissent plus. Low Life est coincé sur une île-continent, leur hargne ne peut que s’échapper qu’en musique. « Conversations » prouve que le groupe assume totalement son côté Oi! alors que « Hammer And The Fist » verse clairement dans la pop. Low Life assume ses influences, cherche la percussion, pousse ses textes dans le combat direct contre un pouvoir qui ne respecte plus rien. Un combat aussi salvateur que tragique bien sûr, Low Life ne fait pas dans la demi-mesure. C’est New Order dans Battle Royale. Killing Joke devant la guillotine. Des vrais lads qui s’en laissent pas compter. Ils ont des « Moments », ils agonisent. Longue vie Low Life!

Alien Nosejob « Paint It Clear » LP (Antifade/Feel It)
On reste en Australie cette semaine avec le quatrième album d’Alien Nosejob, le projet solo de Jake Robertson, également membre des Ausmuteants, Hierophants et autres School Damage. Deux albums étaient sortis l’an dernier et ils faisaient avec bonheur dans le hardcore-punk à l’ancienne – lignée Angry Samoans, Urinals et compagnie. « Paint it clear » se détache avec une approche clairement plus new-wave 80s, pop (écoutez la ballade « The butcher ») et post-punk (il y a même un soupçon de disco). Mais en réalité Robertson adore faire ce genre de grand écart et les fans sont habitués. Il faut dire qu’il y a une constante rassurante: la qualité des compos est toujours au rendez-vous. J’ajoute ici que « Paint it clear » est parfaitement enregistré et masterisé par l’incontournable Mikey Young, les synthés notamment sonnent aussi bien que sur les disques de Total Control et la basse est d’une rondeur peu commune. Il y a un peu de Jay Reatard chez Robertson: il est touche-à-tout, sait où il va et il y va vite! Et il y a aussi cet attrait, peut-être encore plus visible que chez Reatard, pour un vrai savoir-faire pop comme toute la scène néo-zélandaise (pêle-mêle les Verlaines, Clean et autres Chills) ont pu le démontrer notamment au cours des années 80 (« Phone Alone », « Clear as Paint », « Party Time »). Tout est ici parfaitement assimilé et dynamisé dans une nouvelle perspective pop ébouriffante. Une belle réussite.

Èlg « Dans le salon du nous » LP (Vlek)
Artiste multi-facettes, Èlg, a mis du temps à se découvrir lui-même. Depuis plus de 15 ans il multiplie les sorties, en solo ou avec des groupes et chacune semble exprimer une de ces facettes, un de ces univers qu’il aime à faire découvrir. Sans connaître forcément toute sa discographie, il me semble que « Dans le salon du nous » est une des rare fois où il est en mesure de tout exprimer sur un seul disque. C’est d’abord le fait du groupe qu’il a su créer autour de lui et qui rassemble maintenant outre son frère Mim (enregistrement et au mixage) Marie Nachury, Johann Mazé (France Sauvage) ou encore deux membres de Dragon du Poitou, Aurore Debret et Alexandre Menexiadis. C’est ensuite parce qu’au fil de ses compositions, Èlg peut s’en donner à coeur joie: musique concrète, minimaliste (« Midi pin parasol »), incantations électroniques, spoken word qui travaille du chapeau, psychédélisme de coin de rue, dissonances, étrangetés, mondes parallèles qui s’ouvrent et se referment à chaque chanson. Il s’essaye même à d’autres dérivations notamment au niveau du chant qui se fait parfois presque rap (à la Danny Brown) – comme sur « Karl est en dedans » – ou crieur de blues quelque part entre Calvin Johnson et Arno (« Remerciements »). A l’instar de Ghédalia Tazartès (avec qui il a joué dans Reines d’Angleterre) ou d’Areski, Èlg s’impose comme un artiste de travers qui nous remet les idées à l’endroit (ou inversement, je ne sais plus). Les mots prennent des couleurs nouvelles, on passe de l’autre côté du miroir mais en descendant parfois dans la crypte pour un mini-trip sans guide agréé (« De la crypte »). Au final, ça va, Èlg reste là avec sa voix, cette voix posée qui transcrit si bien ses déviances et qu’on aimerait secrètement qu’il utilise pour annoncer à sa façon les retards de RER ou la météo. « Dans le salon du nous » provoquera de nombreuses écoutes et avec lui, les « longues soirées d’hiver » ne seront plus jamais les mêmes.

Brian Nono & Robert Frite « Musique pour arrêt de bus 2 » K7 (Autoproduction)
J’ai manqué le 1 mais tant pis je me lance dans le 2. Il n’y a pas de noms de morceaux. Simplement des traits qui s’allongent. C’est une musique qui longe l’épine dorsale. C’est une musique entre frissons et danger. Quelque chose qui gronde derrière le frigo. Un cargo qui s’éloigne sur une mer sombre et froide. Un arrêt pour un bus qui n’arrive jamais. Entrelacements synthétiques, bourdonnements mystérieux, esprit qui dérape lentement mais inexorablement. Nono & Frite emprisonnent le temps dans un dôme de déviances douces. Dès le troisième morceau, je crois que mon esprit a définitivement quitté mon corps. Le flottement. Le temps d’attente est estimé à…une vie entière. La recherche de saturation laisse la place à de lents glissements de terrain sonores. Un objet non identifié qui tournoie entre nos ombres, sa mécanique rythme le silence. Sur les derniers morceaux, Nono & Frite frisent la cérémonie païenne, la géométrie se met en place, les astres s’alignent comme des bouteilles. Je mettrai ça sur le compte du stress dû à l’absence de titre de transport. Que ça ne vous empêche pas de vous précipiter sur cette superbe K7 signé Hess (A.H. Kraken, Feeling of Love) et The Austrasian Goat (Death To Pigs, Bras Mort, J’entre par tes yeux).

The Embarrassment « Death Travels West » LP (Last Laugh)
Je ne connaissais rien de ce groupe originaire de Wichita au Kansas, formé en 1979 et séparé en 1983. Heureusement l’excellent label Last Laugh nous permet de les découvrir à l’occasion de la réédition de ce « Death Travels West », un de leurs EP des l’époque. Belle découverte car il se dégage quelque chose de fort à l’écoute de ce disque: on pense à Alex Chilton, aux Feelies, à Mission of Burma mais aussi à une certaine énergie punk du midwest à la Great Plains. Bref, tout un savoir-faire de compos accrocheuses, d’harmonies soignées et d’un entrain général qui donne juste envie de voir le groupe en concert là, tout de suite, maintenant (« Lewis and Clark », « D-Rings »). En fait je ne sais trop pourquoi mais j’imagine totalement ce groupe jouer une nuit entière dans un rade chaleureux en rase campagne, soutenu par un public enjoué qui leur offrirait tournée sur tournée. Les sourires se colleraient sur les visages pendant des heures, la musique emporterait tout, ferait tout oublier (ou presque). Certains ont peut-être déjà vécu ça. Nous on doit se contenter de cette réédition, ce qui est déjà pas mal.

Michael Hurley « The Time of the Foxgloves » LP (No Quarter)
Il fête, si je ne me trompe, ses 80 ans aujourd’hui. Michael Hurley vient de sortir un nouvel album, « The Time of Foxgloves » sur le label No Quarter (Endless Boogie, Chris Forsyth, Joan Shelley…). La carrière de cet artiste incontournable de la scène freak folk/outsider folk américaine – également peintre – remonte aux années 60 et 70, en marge de la scène de Greenwich Village. Actuellement installé en Oregon mais originaire d’une partie rurale de la Pennsylvanie, Hurley épate à nouveau sur cet opus de la profondeur de ses compositions, de la chaleur de sa voix (et des voix qui l’accompagnent, notamment Betsy Nichols, Kati Claborn, Lindsay Clark ou la sublime Josephine Foster) et de la finesse des arrangements – on croise autant un orgue à pompe qu’un ukulélé baryton, du banjo, du violon ou du xylophone. Il y a cet instrumental « Knocko The Monk » tout en picking et en orgue: c’est un frisson sur la canopée, un regard qui se perd sur le soleil couchant, un champ de blé qui ondule…Et puis il y a la légèreté, l’oeil sûr (« Blondes and Redheads »), l’harmonie nocturne (« Love Is The Closest Thing ») ou encore le pas de côté, le tourbillon de voix (« Jacob’s Ladder »). Et pour finir « Lush Green Trees », doux, simple, soigné: un direct-âme à peine poêlé et en tout point délicieux.

Puissance 4

Depuis le mois de Février 2021, j’écris des chroniques hebdomadaires sur le compte Instagram Redlight Sanatorium. J’ai décidé de les publier également régulièrement sur ce site.

Marauder « Puissance 4 » LP (Autoproduction)
Deuxième LP pour ce groupe suisse qui semble dorénavant installé à Leipzig en Allemagne. La puissance de Marauder est définitivement celle du groupe. Chaque personne, chaque instrument, chaque chanson semble trouver sa place. La référence au jeu, la référence à la construction, la référence à l’assemblement sont bien là mais aussi, en parallèle, une volonté clairement affichée de tout déconstruire, tout en gardant une accroche pop. Guitare coupante, synthé ténébreux, rythmique discrète mais nerveuse et un chant sûr qui glisse comme de la sueur sur les corps échauffés dans une soirée concert réussie (souvenir/traces de mémoire). Il y a quelque chose d’essentiel dans ces chansons en allemand, en français, en anglais. Quelque chose du groupe, du collectif, de l’interaction, du plaisir de jouer. Quelque chose dont on manque. Ce disque est une partie de la solution.

David Chesworth « Industry & Leisure » LP (BFE)
Après les rééditions en 2011 puis en 2017 sur Chapter Music du premier album de son groupe Essendon Airport et de son premier disque solo « 50 Synthesizer Greats » (sorti à l’origine en 1979 et grand moment de minimal synth bricolé sur un reel-to-reel Akai 4000 DS), c’est au tour du label espagnol BFE de se pencher sur le cas de l’australien David Chesworth en rééditant un EP et cassette solo datant de 1982, « Industry & Leisure ». A cette époque Chesworth était coordinateur du Clifton Hill Community Music Centre à Melbourne, un lieu artistique pluridisciplinaire et expérimental. Difficile de ne pas faire le pont parfois avec la scène allemande Kassettentäter de la même époque pour ces claviers cheap et ses petites mélodies-accidents si accrocheuses. Mais Chesworth tente en réalité plein de choses et pousse même les voix sur « Made To Function » comme un clin d’oeil à Talking Heads ou flirte brièvement avec l’onirisme de Delia Derbyshire. Une musique qui se fraie un chemin dans l’inconnu avec de fines saillies qui couvrent un large spectre. Au final presque 40 ans plus tard, on ne sait toujours pas vraiment où il voulait aller et c’est qui se donne envie de continuer à l’écouter.

Smirk « s/t » LP (Drunken Sailor)
Il y a des albums qui ont un charme instantané. Celui de Smirk est de ceux là. Il est signé d’un certain Nick Vicario du groupe Public Eye (précédemment dans Autistic Youth), originaire de Portland. Pour ce premier effort solo, Vicario me fait penser un peu à Lars Finberg des A Frames s’aventurant sur des chemins de traverse avec son projet The Intelligence sur le fameux « Boredom & Terror » en 2004. On pourrait aussi évoquer, de la même clique, l’excellent album de Le Sang Song en 2009 (écoutez le « Mind Temp » de Smirk par exemple). Même si l’on n’est pas tout à fait sur les mêmes sonorités, l’approche me semble similaire: faire le pari de l’écriture, des idées, du fait-maison. Une approche « bedroom punk » qui n’empêche pas les chansons d’avoir de l’accroche et de l’ampleur et qui a l’avantage de permettre à Smirk de parcourir, avec une certaine indolence et pas mal d’humour, un terrain musical balisé par les parrains éternels post-punk et powerpop que sont Devo, Wire, Redd Kross et autres Real Kids. Smirk ajoute sa patte et fait passer de manière subtile mais bien réelle toutes les tensions d’un pays fracturé.

Spiritual Mafia « Al Fresco » LP (Anti-Fade/Ever/never)
Avec son line-up de feu comprenant des membres des meilleurs combos australiens de ces dernières années (Cuntz, EXEK, Ausmuteants), on était en droit d’attendre un gros premier album de Spiritual Mafia. On n’est pas déçu. Inutile ici de comparer ces six morceaux, enregistrés il y a 3 ans, avec les groupes pre-cités. Le son prend à la gorge dès les premières note et tout le savoir-faire de la scène australienne actuelle semble condensé avec rage dans ce disque. Titubant avec bonheur sur un groove souvent répétitif et stoogien, Spiritual Mafia construit des échafaudages de terminaisons nerveuses en forme de barbelés, soufflant sur les tensions avec la hargne de désespérés brûlés par le soleil-permanent (« Hybrid Animal »). Ce n’est pas un doberman fou, c’est un hydre dopé au psychédélisme cramé et à la fulgurante spontanéité, sifflant des synthés déliquescents en descente rapide du cosmos. Tout ce qu’il nous faut dans ce bas de monde c’est un son de basse comme sur « Bath Boy ». En boucle. Pour toujours. En six morceaux Spiritual Mafia sèche net la totalité des combos branchés du moment. Vivement un pressage européen que ce disque soit disponible par ici à un prix décent.

Zad Kokar & Les Combi Beyaz « Mold Grows » LP (Pouet! Schallplatten/Petite Nature/Kaka Kids/Animal Biscuit/Urin Gargarism)
Deuxième album pour cette formation emmenée par l’hyper prolifique Zad Kokar (également membre de Sida et Année Zéro et artiste visuel reconnu). Le son des Combi Beyaz est un habile mélange de no-wave originelle brûlante, de punk californien old school lignée SST – le disque est d’ailleurs produit par Geza X – et de musique industrielle/expérimentale du début des années 80 (Residents, DAF…). Tout cela est parfaitement intégré et mélangé avec hargne et tact. Les textes sont souvent plus déclamés que chantés, la guitare hyper acérée rape et déraille en permanence, une sorte d’electro lo-fi suinte et coule entre toutes les tentatives de constructions, les rythmiques sont souvent tribales et l’ambiance est tour à tour inquiétante, intriguante, hystérique. Zad Kokar est dans la création tous azimuts, il ne s’interdit rien. Plus que la folie ou la radicalité ce qui souffle sur cette album ce sont des vents de liberté. Des vents forts et revigorants. L’incroyable « Time At Home Alone Secretly Watching Home Alone » est un sommet, un petit hymne de déviance mentale et musicale assumée. Bref un album qui fait du bien et tombe pile pour le printemps.

Michael Beach « Dream Violence » LP (Goner)
Quatrième album solo pour ce musicien américain qui a déménagé d’Oakland à Melbourne – il est d’ailleurs également membre de groupes australiens comme Shovels (Homeless) ou l’étonnant duo instrumental Brain Drugs. « Dream Violence » a été enregistré en partie aux Etats-Unis avec l’aide du génial Kelley Stoltz (Les Disques Steak) et en Australie avec Matthew Ford et Innez Tulloch de Thigh Master (Bruit Direct Disques). Le disque est d’un éclectisme total mais s’avère totalement cohérent et se savoure du début à la fin. Les compos tentent plein de petites choses et quand la tension électrique est là, elle fonctionne comme ces frissons indomptables qui parcourent les meilleurs disques, écoutez « De Facto Blues » suivi de l’instrumental magique « The Tower » tout en delay et interférences. A l’évidence toutes ces chansons ont été parfaitement muries mais aussi parfaitement enregistrées, avec l’équilibre instable de la spontanéité (ces petits grésillements sur « You know, life is cheap », le piano de « You found me out » ou « Sometimes I get that cold feeling »). Rien de trop parfait je vous rassure, Michael Beach ne la ramène pas, il est en pleine crise existentielle. Mais il l’exprime avec brio et ce disque est une réussite certaine.

Spread Joy « s/t » LP (Feel It)
Premier album de ce groupe de Chicago qui comprend des membres de Negative Scanner et Human Beat. La rondeur des lignes de basse est d’emblée d’une indécence complète. Là-dessus le chant piquant de Briana Hernandez fait des étincelles: il y a définitivement du Slits, du Kleenex/Liliput voire même une pointe de Joan Jett époque Runaways. La guitare frétille comme une belle prise qui veut retourner à l’eau au plus vite et la batterie a ce qu’il faut de l’efficacité nécessaire à ce cocktail pour devenir molotov. Ces dix morceaux brûlent comme ceux qui faisaient bruler Zurich, Paris, Londres, New York il y a peu être un certain temps. Un temps qu’on veut retrouver parce qu’il a tout de l’insouciance et de la frénésie, de la sueur et des yeux mouillés, de ces moments qu’on voudrait étirer à l’infini. Le disque est trop court mais il se retourne et se retourne encore et encore. Et encore. Joli coup!

Ostseetraum « s/t » LP (adagio830)
Edition vinyle de la K7 de ce one-man-band berlinois sortie l’an passé sur le label Mangel. Il s’agirait d’un membre du groupe post-punk Liiek, ce qui ne nous avance pas forcément. Un peu à la manière de The Dictaphone, Ostseetraum bricole lui-même une minimal wave matinée de punk froid nourri aux synthés et à la boîte à rythme plutôt nerveuse. La formule n’est pas nouvelle et l’approche assume même une certaine monotonie voire un ennui (de ceux qui poussent à la créativité). Les morceaux sont accrocheurs. On pense à un Xmal Deutschland complètement dépouillé ou quelques autres grands noms du label ZickZack au début des années 80 mais aussi à une version moins expérimentale de Sprung Aus Den Wolken. Maître d’un monde souterrain, Ostseetraum arpente des labyrinthes de mélodies étouffées où grondent parfois des sonorités extérieures. A moins que ce ne soit des lignes de basse vraiment lugubres. Malgré cette ambiance souvent inquiétante, le chant reste la plupart du temps assez clair et évite de descendre dans des tonalités trop graves. Dans sa grotte, Ostseetraum a l’air de bien se marrer mine de rien et ce disque complètement bricolo a le charme du vrai fait maison.

Center « Contour Process » CS (Regional Bears)
On n’a pas envie d’en savoir trop sur le pedigree des membres de Center, comme pour se laisser porter par la musique. Une rapide recherche nous apprendra tout de même qu’ils sont déjà auteurs de trois cassettes et que « Contour process » est donc leur nouvelle sortie sur le label londonien Regional Bears (sur lequel est sorti aussi récemment un formidable et hilarant assemblage de collages sonores par Russell Walker des Pheromoans). Il y a des accointances avec le groupe psychédélique Headroom, originaire du nord-est américain et Stefan Christensen, dont on suit la carrière de près depuis notamment un album sur Bruit Direct disques, a rejoint le groupe de manière permanente. On s’arrêtera là pour les présentations. La musique est trop fine pour s’applatir de lourdes introductions. « Contour process » se déguste comme une promenade au parc avec tous les sens en alerte permanente. Ces guitares qui scintillent comme un soleil pâle sur la surface frémissante du lac, ces larsens presque discrets qui évoquent la balançoire un peu rouillé, ces silences en pointillé devant l’immensité des arbres, l’étrangeté des formes de certaines branches. Tout en feedbacks, Center nous guide dans une dérive lente mais permanente le long de notre imagination, cette force intérieure si fragile que l’on espère pourtant toujours pouvoir retrouver, à tout moment, quoiqu’il arrive. L’orage grésillant de la fin du morceau « Hamden Plaza » annonce déjà la fin de ces quatre titres admirables et on ne peut qu’attendre impatiemment leurs prochaines sorties.

Alan Vega « Mutator » LP (Sacred Bones)
Alan Vega est toujours là. Hyper créatif, notre homme a laissé des trésors derrière lui. Sacred Bones en dévoile une partie avec cet album posthume. On ne fait plus les présentations. Moitié de Suicide avec Martin Rev, Alan Vega est une artiste hors-norme qui a mis de la graisse magique dans les machines, déployé un mojo-magnétisme incroyable sur scène, trimballé sa poésie secouée avec un panache indicible. Auteur d’une douzaine d’albums solo, il épate à nouveau avec ce « Mutator » enregistré dans son studio new-yorkais en 1995-1996 avec sa femme Liz Lamere et Jared Artaud (The Vacant Lots) aux manettes. Un titre comme « Muscles » est emblématique: raideur de la rythmique, brouillard fascinant des arrangements, puissance évocatrice du chant, tout est là. La révolte du pelvis remuant dans une armure moderne d’une froideur brutale, métal glacé étouffant les chairs en sueur. Le quasi gospel digital de « Samurai » dévoile une fois de plus ce lien permanent et tordu avec les racines du rock’n’roll, celui qui brûle les tripes et les âmes. « Filthy » et « Nike Soldier » enfoncent le clou: rythmiques trépidantes et ce chant comme un mélange de délicatesse et de fureur sauvage. Les deux derniers morceaux sont plus planants, le chant se noyant parfois avec bonheur dans des torrents de synthés célestes.

Rudimentary Peni « Great War » LP (Sealed Records)
Alors que l’on a plus que jamais besoin de quelque chose pour faire face à l’écrasante quotidienneté du prosaïque, ce nouveau disque du célèbre groupe punk anglais – en activité depuis 1980 – vient à point nommé. La musique sombre, prenante, agressive de Rudimentary Peni ne peut se réduire à un seul courant musical ou à une seule époque mais le poétique est bien là. L’idée n’est pas ici de tracer l’historique de cette formation fascinante – j’en serais bien incapable – mais de saluer un disque d’un groupe dont les membres doivent bien avoir la soixantaine et et qui botte le train de n’importe quel combo hardcore-punk du moment. Le seul chanteur Nick Blinko – également auteur des pochettes, invariablement superbes – vaut à lui seul le détour. Le groupe a multiplié de longues périodes de hiatus et fait face à de nombreuses difficultés. Mais ce « Great War » – enregistré il y a quelques années – épate de sa puissance sombre, de cette noirceur trempée dans l’encre de Blinko, de cette radicalité intacte, de cette intensité si jouissive. Pour tout dire « Great War » ne peut raisonnablement s’écouter que sur vinyle et à plein volume. Toujours sur la crête de ses obsessions, Blinko s’appuie pour ce « Great War » sur la poésie de l’anglais Wilfred Owen, écrite pendant la guerre de 14-18. Il avait déjà utilisé un de ses textes pour un single en 2009. Dès l’ouverture, le « Anthem for Doomed Youth » claque comme jamais et aucune baisse de régime n’est à noter jusqu’à la fin. Si d’aucuns semblent plus inspirés par une analyse de la santé mentale de Blinko que par sa musique, il faudrait pourtant ne pas oublier d’écouter ses disques. Celui là est un nouvel uppercut salvateur.

JJULIUS « Vol 1 » LP (Mammas Mysteriska Jukebox)
Que sait on de cet artiste? Pas grand chose. Il est suédois. Il joue dans les groupes Monokultur et Skiftande Enheter. Il contribue à l’incroyable vivacité de la scène indépendante suédoise actuelle qui semble exploser de créativité. Sur cet album solo, le premier apparemment, on se laisse dériver avec lui dans un grand bain sonore et nocturne. Le fond de l’air n’est pas si frais. Il fait même plutôt doux. Des éclats de lune, des éclats de mystère, éclairent cette échappée dans l’obscurité. Parfois il y a une boîte à rythme qui donne quelques pulsations, parfois on laisse filer ses pensées sur un synthé ou une guitare inévitablement seule. On ne comprend rien aux paroles bien sûr mais il y a assurément quelque chose qui passe. Un courant, une atmosphère, une électricité, quelque chose dans l’air ou dans l’eau. Souvent c’est la basse qui semble guider nos pas fébriles à travers des éclats de voix, des mondes qui se créent sous nos yeux, pour quelques secondes, dans un mouvement permanent, impressionniste. Pas vraiment envie de me lancer dans des comparaisons journalistiques mais il y a, il me semble, quelques reflets de Durutti Column dans cette virée définitivement inspirante et vivifiante. Un album aux charmes indéniables. L’édition vinyle semble déjà épuisée, on ne peut qu’espérer qu’un nouveau tirage, plus conséquent cette fois ci.

Bilders « Move Along, Love Among » CS (Thokei Tapes)
Builders ou Bilders, c’est bien la mythique formation néo-zélandaise à géométrie variable de Bill Direen, en activité depuis 1980, dont on parle ici. Si sa route a croisé celle de Flying Nun aux débuts du groupe, il a également eu son propre label, South Indies. Bill est un poète étonnant qui a trainé son regard à travers le monde et outre son pays, auquel il est très attaché, notamment en Europe à Berlin et Paris. Il y a chez lui une maîtrise dans l’écriture qui me fait à chaque fois forte impression. Cet album souligne également une fois de plus le travail des textures et des arrangements. Oui il y a un peu de glockenspiel et kalimba mais toujours au service des textes et d’un chant qui tient du spoken-word malgré des intonations de voix et des prononciations qui contribuent aussi à l’atmosphère générale. L’impression ici d’être au bout du monde, dans une maison isolée balayée par le vent mais considérablement réchauffée par des chansons-univers qui se dévoilent les unes après les autres avec une intriguante fragilité. Même si Grapefruit records a contribué ces dernières années à remettre un peu les projecteurs sur Bill Direen – tout comme le remarquable album de Ferocious sur Rattle records l’an passé – il reste un encore largement méconnu sous nos latitudes. Il n’est jamais trop tard pour découvrir son oeuvre et ce « Move Along, Love Among » est une raison supplémentaire. A noter que les recettes la version numérique de cet album seront versées à Book Guardians Aotearoa qui tente de sauver de la destruction les 625 000 livres de la collection d’outre-mer de la Bibliothèque nationale de Nouvelle-Zélande à Wellington.

Privat « Ein Gedachtnis Rollt Sich Auf Der Zunge Aus » LP (Alter)
Premier album de ce groupe basé à Vienne et dans lequel on retrouve notamment un certain Robert Pawliczek qui s’est fait connaître ces dernières années dans des formations comme Bobby Would ou Heavy Metal. Mais il y a aussi un autre Robert qui lui verse plutôt dans l’architecture, d’après ce que je comprends. On est tout de suite attrapé par l’atmosphère nocturne, électronique et bouillante de ce premier disque incroyablement maîtrisé. « Unterhaltung » et on est quelque part entre Moroder et Adult., à se rouler sur le bitume pour entrevoir le blanc des nuages dans le bleu de la nuit et croiser quelques carcasses de synthés désossés. La tension de « Die Kassette » bourdonne comme une échappée folle qui cherche des angles à la Liaisons Dangereuses tout en alimentant une garniture planante et un chanté-parlé froid et distant. « Das Parkett » descend dans les profondeurs glaçante d’un sombre chateau gothique mais avec un mélange de grâce et de décadence (ces notes de basses extrêmes). L’album se poursuit entre frénésie lugubre et introspection inquiétante, médicamenteuse. Le « Momente » final dévoile un climax assurément chimique et cinématographique. Une belle réussite.

Famous Mammals « s/t » CS (Self-Released)
Très peu d’infos sur ce nouveau combo américain d’Oakland qui semble pourtant comporter des membres de The World, The Cuts ou encore Naked Roommate. La boîte à rythme est rachitique au possible, le chant souvent distancié, la guitare frétille obstinément dans son coin et un petit enchevêtrement de sonorités maison (saxophone, percussions, sifflements…) contribue à cet aspect artisanal fièrement revendiqué. « Unspoken chair » a tout de la petite ritournelle pop à la Television Personalities là où « Observer and the Object » vire plus clairement punk rock à la Tyvek. « Kant Kan’t Dance » et surtout « Ode To Nikki » trouvent un ton qui marque: on est plongé dans un magma minimaliste, raffiné sans être prétentieux, accrocheur sans pour autant chercher à séduire à tout prix. « Nouvel enregistrement » est un morceau étonnant où Camille Lan (du fanzine Making Waves) lit un texte de Flora Tristan, militante féministe franco-péruvienne du début du 19ième. Le long instrumental « Horizontal Bombings » clôt ce premier opus particulièrement prometteur.

EXEK « Good Thing They Ripped Up The Carpet » LP (Lulu’s Sonic Disc Club)
Ce nouveau disque du groupe australien est un mélange d’anciens et de nouveaux morceaux et sort exclusivement sur le label de Melbourne Lulu’s Sonic Disc Club (émanation du disquaire Lulu). On retrouve avec plaisir l’approche étonnante du groupe comme entité hybride avançant dans une myriade d’univers aux textures et aux couleurs changeantes, prenant un plaisir cinématographique à nous perdre dans des dédales de compositions à tiroirs. Souvent quand on se trouve perdu, il y a une basse ou une batterie qui refait surface comme pour dissiper temporairement le mystère ou du moins lui donner un rythme qui donne envie de poursuivre la visite. Les textes sont au service de ce jeu de pistes, de cet escape game musical dont eux seuls ont le secret. A noter que la face B comprend deux morceaux présents sur des compilations célébrant un 20ième anniversaire (« Four Stomachs » sur la compilation sdz – bon ok ça fait 21 ans maintenant – et le superbe « Too Steep A Hill To Climb » sur celle du disquaire Born Bad). Entre rétrospective et avant-goût d’un futur album déjà en construction « Good Thing They Ripped Up The Carpet » est un disque à l’image d’un groupe qui assume sa complexité sans pour autant la mettre en avant.

Pogy & Les Kefars « Dans ton rétro » LP (Bitume Rugueux/Crapoulet/No Front Teeth)
Je ne connaissais pas ce jeune groupe marseillais qui assume une power pop rentre-dedans, sans complexe et avec des paroles bien troussées et non dénuées d’humour. Le « Bye Bye Johnny » me fait inmanquablement penser au morceau de Pierre & Bastien sur Mitterrand, allez comprendre pourquoi. Il y a un certain parallélisme à creuser entre les deux groupes – des racines punk rock communes a minima – même si ici les sonorités sont ici beaucoup plus pop. Le groupe est au taquet et l’enregistrement est très bon. « Ce matin le voisin est mort / Je vais pouvoir jouer plus fort » sur « Bien », ça claque quand même pas mal, avec en plus des choeurs gavés de soleil dégoulinant. Parfois les punchlines font un peu plus téléphonés mais tout est assumé et l’ensemble est d’une légèreté et d’un manque de prétention qui fait plaisir à entendre. « Dans ma parka » est le petit bijou de cet album avec son refrain aussi simple qu’accrocheur – « comment partir loin d’ici? » – qui résume tant de choses en si peu de mots. Bref, ce premier album est une vraie réussite et il me semble qu’il serait dommage de s’en passer pour cet été!

BARAONDA « p r i m a v e r a s u p e r f l ú a » DL (wraaawraa)
Une forme de résistance s’est organisée à Rome depuis plus d’un an et c’est le collectif Baraonda qui en apporte ici une première preuve, en musique. On ne sait pas grand chose de la composition de ce collectif d’une vingtaine de musiciens même si certaines informations glanées ici et là semblent indiquer que des membres de la branche italienne de la Grande Triple Alliance Internationale de l’Est comme Julie Normal (Accident du Travail) et Maria Violenza ont participé. Le principe a été de se réunir régulièrement dans différentes maisons et d’essayer de partager quelque chose collectivement à travers la musique. Chose qui pouvait sembler simple et qui ne l’est plus. La plupart des morceaux sont chantés en italien sauf l’aérien « No Future » et « Oh Hannah », une superbe reprise du « I wanna be your girlfriend » de Girl In Red. On trouve quelques longs jams (« Treni », « Ossigeno ») assez prenants et des morceaux aux influences diverses (pop, folklore, psychédélique, jazz free, minimal synth…) qui témoignent, comme un pied-de-nez, d’une absence de contraintes, d’une créativité qui se veut la plus libérée possible et surtout plus simplement du plaisir de jouer ensemble, de se découvrir ou re-découvrir à travers la musique. A l’écoute de ces dix titres, on se dit qu’ils touchent là à l’essentiel, à une nécessité que l’isolement prolongé ne pourra pas détruire. Et puis l’ambiance générale est plutôt détendue voire très détendue, ce qui est tout à fait appréciable dans une époque où les couches de stress semblent s’ajouter à l’infini. Un belle découverte. A noter que le collectif indique que si cet album digital leur donne les moyens, il y aura un pressage vinyle. Alors vous savez ce qui vous reste à faire si ça vous plaît!

Birds of Maya « Valdez » LP (Drag City)
Quatrième album du groupe de Philadelphie après des disques remarqués sur des labels comme Holy Moutain, Richie et Little Big Chief. Ils passent désormais à une plus grosse distribution avec Drag City. « Valdez » a été enregistré en 2014 mais ne sort que maintenant. Partageant des accointances avec Purling Hiss, Spacin’ et Watery Love, vous pouvez vous douter que Birds of Maya est toutes guitares dehors dès le premier morceau, le splendide « High Fly » qui met d’emblée la part très très haut. J’ai toujours pensé que pour mettre en avant des guitares aussi bavardes il fallait une très grosse dose de « feeling ». Là on est servi. Stoogien en diable, sale, vrillé, l’album se déguste au volume maximum. On titube mentalement devant le choc psychotropique de morceaux-somme comme « Busted Room » – la pièce ne sera plus jamais la même – ou d’envolées acides comme « Recessinater » ou « Please come in ». Quelque part entre Hawkwind et les débuts de Bardo Pond, féroce, sans concession, sauvage, ce « Valdez » frappe un grand coup et on espère ne pas attendre aussi longtemps avant le prochain disque.

Luca Retraite « Super Poison Retraite » CS (Simple Music Experience)
Très bonne idée du label Simple Music Experience que de sortir en cassette ce mix – initialement diffusé dans le cadre d’une émission de radio – qui couvre différent projets de Luca Retraite, plus connu actuellement sous le nom de Ventre de Biche (3 albums et pas mal de singles au compteur) mais disposant de nombreux projets parallèles et d’autant d’alias comme Patrick Google, Chase Long ou encore ASS. Ce pot parfaitement pourri permet de saisir le rare éclectisme de Luca qui passe allègrement de la trap maison à la Bones / $uicideboy$ / Depressive Tongue Posse – souvent tordue et soniquement malaxée à sa sauce – aux divagations guitaristiques post-punk/noise de SIDA en passant par le rock psychédélique piquant des trop méconnus John Merricks. Le tout est ici subtilement assemblé. « Et je parle dans ton crâne, c’est pour ça que les bonnes gens te fuient » répète t-il dans « Corniche Kennedy », morceau merveilleusement minimaliste et personnel de Ventre de Biche. Les textes sont souvent de petites fulgurances. Des assemblages de mots qui sonnent. De ceux qu’on écrit sur un bout de papier mais qui rentrent parfaitement dans le crâne, justement. Il faut dire que la répétition est là, comme une culture du sample textuel, celui qui claque et qui résonne. « On dit travail quand ça paye cash » martèle t-il d’une voix robotique dans le « Cash » de Chase Long. Il y a aussi des morceaux plus calmes, entre spleen de rue et introspection synthétique qui laissent une large place à la musique, la voix étant souvent avec effet et assez discrète pour qu’on tende l’oreille. Pas de Charnier ni de Système Magique ni de Bimbiveru mais allez donc sur drywud.fr, sur le bandcamp de son label – Maison de Retraite – et sur son instagram si vous voulez en découvrir plus!

Drunk Meat « Plus ça va moins ça va » LP (Pouet! Schallplatten)
On revient un peu en arrière avec la réédition vinyle parue fin Avril d’un CD de 2019 du duo bordelais Drunk Meat (un certain Romain, une certaine Céline). Un disque qui frappe fort par ses textes désabusés (« coups de couteau / menaces de mort / t’aurais pas dû sortir en boîte » ou encore « elle a tué son patron / elle a dû quitter ses fonctions ») et sa musique sombre et tendue qui évoque autant les Cramps que Birthday Party, Pierre & Bastien ou quelques dignes représentants de la Grande Triple Alliance Internationale de l’Est (Le Chômage et AH Kraken en particulier). Entre synth-wave sombre et post-punk sale et tendu, le duo trouve un terrain fertile qui lui permet de développer des compos accrocheuses dans des ambiances d’une noirceur quasi-goth. C’est quand le tempo vient à ralentir et que la guitare se fait plus sournoise que Drunk Meat trouve toute son ampleur, par exemple avec le morceau « Je perds pied » qui clôt l’album. Drunk Meat ne renverse pas la table mais fait preuve d’une lucidité sauvage en poussant à l’excès le désespoir et le cynisme de l’époque.

Strapping Fieldhands « Across The Susquehanna » LP (Petty Bunco)
Cinquième album de ce duo de Philadelphie, actif depuis le début des années 90 et particulièrement respecté outre-Atlantique. Ils semblent un peu moins connus par ici et pourtant je ne saurais que trop vous conseiller de vous pencher sur leurs disques (plusieurs EP et une compile sur Siltbreeze notamment mais pas seulement). Ce nouveau disque présente quartorze nouvelles chansons merveilleusement perchées pour un trip psychédélique quelque part entre Syd Barrett, Jim Shepard et Peter Jefferies. Perdu dans les méandres du fleuve Susquehanna, dont la longue histoire semble infuser la génèse de cet album, on barbote avec plaisir en écoutant quelques sompteuses divagations au poison lent comme « The Hand That Plays Calliope », « Dream of amazement » ou « City of pain ». Il y a parfois des influences plus country (« Joy Ride »), blues (« I’m looking at you ») ou pop 60s (« He’s a Chart Topper! ») mais la qualité des compos est toujours au rendez-vous et je lève ma bière bien fraîche à ce disque pastoral, labyrinthique et parfaitement réussi que je ne saurais trop vous recommander.

Shūko No Omit « 秘密の回顧録 » LP (An’archives)
Je ne me risquerai pas à un historique voire même une présentation de ce groupe japonais car étant particulièrement novice à leur sujet je préfère vous laisser découvrir les notes de pochette de l’excellent Patrick O’Brien (des fabuleux Mad Nanna). Emmenés par Yonju Miyaoka et originaire d’Osaka, Shūko No Omit est un trio guitare / basse / batterie qui s’appuie sur de puissantes racines blues et psychédéliques avec bien souvent quelques fulgurances no-wave. L’album ressemble à une longue improvisation live où Miyaoka fait preuve d’une forte présence au chant, donnant une véritable intensité dramatique. On est là dans bicoque secouée par les vents, scrutant parfois avec inquiétude les vagues entre les planches en bois, les yeux fermés devant une musique aussi tempêtueuse et évocatrice. Il y a parfois des choeurs complètement décalés et un harmonica discret. Et bien souvent une basse qui tourne parfaitement en rond, une batterie souvent en retrait et une guitare qui déraille follement…mais pas tout le temps. On croit déceler un modèle, des motifs, mais non, le groupe est sinueux par essence. Finalement peut-être que cette bicoque ne tremble pas du tout et que la mer est calme mais avec Shūko No Omit, quelle traversée quand même! Plongez-vous dedans!

Alan Vega, Ben Vaughn, Barb Dwyer & Palmyra Delran « After dark » LP (In The Red)
Voici déjà de nouveaux enregistrements inédits d’Alan Vega, cette fois avec des membres du groupe Pink Slip Daddy – dont le talentueux Ben Vaugn avec qui il avait déjà signé « Cubist Blues » en 1996 en compagnie d’Alex Chilton. Une session bien différente des morceaux parus sur l’album « Mutator » il y a quelques mois. Ici l’ambiance est davantage blues et rockabilly même si la patte Vega est de nouveau immédiatement reconnaissable. « Hi Speed Roller » fait monter la température et ménage les tensions avec classe quand « Out of town » est un slow de velours qui laisse rugir les talents de chanteur de Vega. Le groupe a ce qu’il faut de tact et de discrétion et on pense à certains disques magiques de Kid Congo, Tav Falco ou Andre Williams, de ceux qui visent les frissons. »River of no shame » et ces maracas et ce theremin qui donnent clairement envie de se retrouver là, devant lui, dans un petit club enfumé à une heure avancée. Le morceau dure 6 minutes et des, il pourrait durer 6 heures, il serait aussi bon. La valse de « Wings of glory » et le détour synthétique aveuglant et intriguant de « The Record speed » et le disque est déjà terminé…. »there is a future, your future ». Encore un trésor à déguster, gageons qu’il n’y en aura d’autres.

The Rebel « Remember your failure in the cave » LP (Wrong Speed Records)
On ne présente plus Ben R Wallers des Country Teasers dont voici l’enième album solo – on ne les compte plus vraiment car il y a plein de cassettes, de CD-R – tout doit d’être découvert, dégusté. On est ici clairement sur le versant le plus expérimental du Rebel, pas grand chose à voir avec les albums sur Monofonus Press il y a quelques années. Il faut plonger à nouveau dans son univers électronique lo-fi mi-joyeux mi-triste et essentiellement instrumental. »Baby chick went down to the fayre » mettrait de l’ambiance en concert, intercalé entre quelques uns de ses classiques. Chaque album est une construction infiniment personnelle, du titre de chaque morceau (souvent à rallonge), jusqu’à la musique « infiniment maison » bien sûr. « I’d like to record an LP » et il lâche les paroles qu’on attendait, sur le contexte, sur lui avec son sens de l’humour et ses multiples ramifications parfois un peu cryptiques mais toujours portées par une intention forte. « Title track two » et on bascule dans ces ambiances caverneuses et synthétiques, un peu flippantes, qu’il affectionne particulièrement. Il y a un jeu de mots récurrent sur « Ace of spade »/ »Eighce ovs payeds », il faudra qu’on me l’explique, j’ai pas tout compris, je suis désolé. Cette chronique est médiocre mais le disque ne l’est pas. Il parlera d’emblée aux afficionados. Pour les autres: il n’y a aucun point d’entrée recommandé pour The Rebel, faut se lancer, c’est tout.

Friendly Boyfriend « Pick up! » EP (Happiest Place Records)
On replonge dans l’effervescence de la scène indépendante suédoise avec ce duo qui sort là son premier 45 tours. Le groupe assume très clairement l’influence de la scène néo-zélandaise au sens large – de The Clean à Pumice – mais aussi de groupes comme Beat Happening ou les Vaselines. « Gone for a time », bien déglingué, construit sa mélodie claire sur des bourdonnements bruitistes qui ne couvrent que partiellement une approche pop bien réelle, notamment à travers les chants de Tyra et Vihtori qui se croisent avec bonheur malgré un mixage un peu hasardeux. « Beatnik » est une reprise du classique de The Clean qu’ils colorent à leur façon c’est à dire avec une fougue et amateurisme lofi revendiqué qui donnent à ce morceau un côté bricolo étrange. Amoureux des déséquilibres et des mixages tout en contrastes dans le rouge, le groupe enfonce le clou avec « Julie’s head ». Un titre qui glisse sur le pitch et qui par sa construction répétitive et ce petit orgue bien senti verse bien vite dans un psychédélisme sixties maison du meilleur effet. Difficile de ne pas l’écouter en boucle, c’est mon morceau préféré du EP. « Sleeping (on your couch) » est très bon aussi mais un peu plus vaporeux, confortablement calé sur une ligne de basse bien solide et se terminant avec des éclats de voix. « Pick up! » a tout de la prise directe, du plaisir du spontané, de l’instantané, peau contre disque, le plus fort possible.

Fake Last Name « It’ll happen again » CS (Tough Gum)
Petit retour en arrière cette semaine avec la K7 de Fake Last Name sortie à la toute fin du mois de Mai sur le label Tough Gum. Originaire de Baton Rouge en Louisiane, il s’agit – si je ne me trompe – du projet d’une moitié du groupe Spllit, auteur d’un récent LP sur l’excellent Feel It Records. Né au fin fond du confinement, ces mini-chansons ont le charme des plus beaux bricolages, de ceux qu’on fait dans l’isolement, sans se soucier du qu’en-dira-t-on. Rythmiques saccadées, presques hésitantes, field recordings du quotidien contraint, murmures de voix, lignes de basse 100% coton…on se balade dans cet univers hautement personnel avec un plaisir total. Il y a du Maraudeur dans ces petites vignettes tantôt entraînantes tantôt intriguantes où les enregistrements de voix se mêlent, où les rythmes semblent dériver dans la fièvre punk de l’inconnu, sur la crête de cette pandémie. Tout se déchaîne autour mais à l’intérieur, au plus for intérieur, la musique reste et restera, même sous un « bulky layers of shirts and hoodies (stepping out) ». J’attends la suite avec impatience!

Terrine « Les Problèmes Urbains » LP (Tanzprocesz/Bruit Direct Disques)
Oui c’est bien le nouvel album de Terrine, le projet solo de Claire Gapenne que vous connaissez peut-être aussi via les groupes Headwar, Jazzoux ou Me Donner. « Donne le mi » me donne des coups de basse dès le milieu de morceau, ce qui est très bon signe. Ensuite c’est parti pour un grand tour de sa boîte cranienne par l’entremise d’une installation, de manipulations dont elle a le secret. Il y a des éclats de conversations, des bribes de rythmiques, des échos d’un monde numérique mais elle soulève les écrans comme les nappes et les tire d’un coup sec. Un verre de vin, des charentaises, un grand conteneur de déchets à recycler: on ne pense pas du tout à tout ça en écoutant « L’anniversaire » – grosse ambiance – ou en écoutant « Carotte Cake », de la cuisine électronique de précision magnifiquement noyée par une volée de piano amateur. « Tourner en rond » et je tends l’oreille: ces bourdonnements, cette petite mélodie de fête foraine déserte, les imaginaires se faufilent à grande vitesse, glissant sur des poussées de basse-bitume. Par l’entrebaillement d’une lourde porte, une conférence, une soirée bavardages entre porteurs de verres de vin, vite interrompue par des démangeaisons de créations, de piano sax en autodidacte et de ping-pong hommage à Bernard Parmegiani. Tout cela se termine à tester des perceuses tranquillement en pleine séance de stretching sur l’épaisse moquette d’un vaste appartement des années septante. Pour cette rentrée, feuilles perforées petits carreaux et « Les problèmes urbains » sont assurément des indispensables.

Jérôme Noetinger / Lionel Fernandez « Outer Blanc » LP (Sonoris)
On ne présente plus Noetinger et Fernandez, deux grands noms de la scène expérimentale française, l’un improvisateur electroacoustique renommé – longtemps à tête du mailorder Metamkine – et l’autre guitariste de Sister Iodine et activiste notoire. Voilà couché sur disque le résultat d’une de leurs récentes collaborations. Dès le deuxième morceau, ils sont à l’arme lourde à créer le malaise auditif qu’on attendait, sons de perceuses, micro-destructions amplifiées, larsens millésimés. Ils élèvent personnellement, en bout de piste de chaque aéroport français, ces oiseaux qui viennent se nicher dans les réacteurs, créant les turbulences les plus imprévisibles. Mais ils savent aussi se laisser dériver, toutes machineries dehors, le long de grands fleuves sombres – à moins que ce ne soit des palissades un peu liquides – pour le plaisir d’arriver à un endroit qu’ils ne connaissent pas. « Copter » et tout se décroche d’un ciel d’un bleu trop noir: de brefs éclats de jaune et de rouge puis une multitude de blocs de jungle hyper-denses qui se dressent ensuite à chaque coin de rue comme des ombres nouvelles. Tout l’environnement s’en trouve modifié. D’indescriptibles machines-insectes strient l’air chaud de leurs chants stridents, d’une répétitivité qui froisse tout être existant. Dans ce vert-nuit permanent il n’y a que l’expression d’une liberté en lettres de vie qui puisse tracer un chemin de sortie car tout est captivité. « Athena III » et « Outer cuts » et les réflexions se font plus profondes. Le soulèvement viendra des entrailles les plus insoupçonnées, de celles qui ne peuvent plus rien digérer. Sur ces borborygmes salutaires, « Outer Exit » s’impose comme une évidence, majestueusement inquiétante, aussi créatrice que destructrice.
Ecoute/achat: https://www.sonoris.org/product/jerome-noetinger-lionel-fernandez-outer-blanc-lp/

The Moving Pictures « Fake Books » LP (K/Perennial Death)
Je ne connaissais rien de Moving Pictures avant mais c’est apparemment le deuxième album et c’est devenu un projet solo alors que ça ne l’était pas forcément au début. Quoiqu’il en soit Moving Pictures pose ses pas dans le long chemin des troubadours à l’inconsolable solitude. Un peu de synthé, beaucoup de réverb sur la guitare, parfois une boîte à rythme comme meilleure amie et des mots avec lesquels il essaie probablement de faire dire un peu trop de choses. « Nothing Fades (Like Love) » sonne plus vrai que nature – on dirait un lointain cousin de Nathan Snell dont je vous parlerai bientôt ici – tout en pointillés électriques et vague-à-l’âme du Northwest – après tout on est à Olympia. Un échec, des échecs, une chanson. « Holiday Ennui » a presque des airs de déjà-entendu mais il y a bien des milliers de variantes de spleen, c’est le plus beau des virus. « Obliteration Room » est une merveille de bedroom-pop sombre et tordue. Le malaise de l’époque semble temporairement s’enfuir par les fenêtres grandes ouvertes. « Crush box » est aussi de ces brouillons gratouillés dans un intérieur abandonné par toute présence extérieure. Tout transpire d’une vérité froide et posée qui, s’en prendre gare, se prend magnifiquement les pieds dans la poésie. « No name » achève un disque dont l’auteur souhaitait sans doute avant tout qu’il existe sans pour autant qu’il le sorte de l’anonymat dans lequel il peut écrire, composer et chaque jour se comprendre un peu plus.

Equipment Pointed Ankh « Without Human Permission » LP (Astral Editions/Somophore Lounge)
Actif depuis 2016, Equipment Pointed Ankh est un projet de Jim Marlowe (Tropical Trash, Sapat…). Il y a eu pas mal de sorties au format numérique pendant les premières années puis un « Live » en 2019 sur Somophore Lounge également. La ville c’est Louisville, l’état c’est le Kentucky. Je sais que vous aimez la géographie comme moi alors j’ai été ravi d’apprendre que ce disque a été enregistré à Pawtucket, Rhode Island. Une semaine d’enregistrement. Equipment Pointed Ankh est l’épitome du groupe polymorphe, une créature en perpétuelle régénération. L’intensité harmonico-psychédélique atteint déjà un pic dès le deuxième morceau, « Blue Folding Room ». Puis le groupe introduit du rythme et du kick dans « Rainforest Cotillion » qui se fond en une série de dilatations de pupilles – les deux morceaux suivants qui ne feraient pas tache sur un album de Crazy Doberman. « Pioneer Chairs » est une dérivation neuronale pas si éloignées de celles pratiquées à leurs débuts par Soft Machine. Mais c’est ensuite un track beaucoup plus techno primitive, « Chrome Rum », qui brouille les esprits et se noie dans une réverb gorgée d’alcool fort. « Zen Authority » semble représenter un point d’équilibre, une croisée des chemins ou peut-être la dernière étape d’une mutation. En effet, les deux derniers morceaux et en particulier celui qui donne son titre au disque semblent claquer dans une autre galaxie, osant les détours les plus inattendus, trouvant enfin cette route entre malaise et enchantement, entre douceur et amertume.

Rider/Horse « Select Trials » LP (Ever/Never)
Originaires de Kingston au nord de New-York, Rider/Horse est un nouveau groupe composé de Cory Plump (ex Spray Paint) et Chris Turco (ex Les Savy Fav, Trans Am…). « Select Trials » est un premier album conçu comme un hold-up tendu quelque part entre Big Black et A Frames et on peut le dire d’emblée: ça fait du bien. « Tremolo Harm » est un gros coup de massue suivi de l’intro plus mélancolique de « Chime Inn » qui se construit comme une course-poursuite glaciale, rythmique trépidante, basses des bas-fonds et un peu d’épices synthétiques. Sombres, secs, enregistrés en pleine pandémie, les morceaux-exutoires sont des carburants pour sortir de ce monde le temps d’un album. Oui c’est encore possible. « Bodyslam Turco » et « Prawn Ranch » sont des sorties nocturnes interdites, une envie de crier sur le pergélisol en pleine fonte, de mettre un coup de tête à ceux qui s’entêtent. Avec peu de moyens Rider/Horse parvient à créer des ambiances post-industrielles cryptiques, des kraut-eries bruyantes et perchées qui filent comme des tamarin-lions entre les ombres d’un monde devenu complètement fou. « Select Trials » est un combat de boxe en TGV, désespéré, parcouru de spasmes, de crises d’angoisse et de sueur froides. Etre parvenu à exprimer tout cela est déjà en soi une réussite.

Men & Health « Heroin On Reality TV » EP (Levande Begravd Records)
Voici un trio basé à Copenhague – auteur d’un premier album K7 autoproduit l’an dernier – qui fait forte impression avec cet EP de punk minimaliste et cru. Il y a parfois des disques qui s’imposent naturellement. En voilà un. A une époque où tout passe trop vite, trop mal, Men & Health cherche d’abord à attirer l’attention avec un titre assez provocateur. On peut être rebuté mais si on a la curiosité d’écouter, le résultat ne peut qu’accrocher: « They should get heroin to people on reality tv », il fallait y penser comme refrain et le morceau est suffisamment bon pour rester en tête. Guitare bien sale, boîte à rythme bien bête et bien méchante, paroles stupides au possible (« I’m on a planet made of you » et autres « It’s so freezing cold tonight » peut on entendre sur d’autres titres), le cocktail n’est pas nouveau mais Men & Health le boit cul sec et en redemande une tournée derechef. Les gaillards ne manquent pas d’humour non plus puisque le dernier morceau, plus lent et mélancolique a comme refrain « Getting up at noon…do you think it’s too soon? ». Imparable.

Demain sans faute « Panier de fruits » LP (Epicericords/Coolax records/GED/Cheap Satanism records/La loutre par les cornes/Scolopendre/Araki records/Les Clampins d’abord/Do It Youssef !)
Demain sans faute tranche des espaces en face de la mer d’Iroise (« Type de larsen 3 »), descend en flûte le long des sentiers côtiers les plus escarpés (« Tranquille et tendu »), tape un bong quand la lune devient trop rousse ou trop grise (« Smoke on the water 1 »). On se perd dans la nuit brestoise avec des regards mal interprétés, des rendez-vous manqués, des néons éteints trop rapidement ou un coup de chaud dans une brasserie (« Impro n°9 »). Il y a du bricolage le dimanche mais qui provient en fait d’une tentative de boîte de nuit avec boîtes à outils. Il faut continuer à utiliser tous ces outils, tapisser un morceau de leurs sonorités, le cliquetis métallique et la rythmique de ces interventions ne se noieront que dans un ressac profond (« En fait j’aime bien la techno »). Le hangar abrite des machines à bois, des machines à boire, des machines à écrire qui font ding (et pas trop dong), des percussions….tout mène à l’improvisation. Et tout devient liquide. Un panier bien garni.