Depuis le mois de Février 2021, j’écris des chroniques hebdomadaires sur le compte Instagram Redlight Sanatorium. J’ai décidé de les publier également régulièrement sur ce site.
Marauder « Puissance 4 » LP (Autoproduction)
Deuxième LP pour ce groupe suisse qui semble dorénavant installé à Leipzig en Allemagne. La puissance de Marauder est définitivement celle du groupe. Chaque personne, chaque instrument, chaque chanson semble trouver sa place. La référence au jeu, la référence à la construction, la référence à l’assemblement sont bien là mais aussi, en parallèle, une volonté clairement affichée de tout déconstruire, tout en gardant une accroche pop. Guitare coupante, synthé ténébreux, rythmique discrète mais nerveuse et un chant sûr qui glisse comme de la sueur sur les corps échauffés dans une soirée concert réussie (souvenir/traces de mémoire). Il y a quelque chose d’essentiel dans ces chansons en allemand, en français, en anglais. Quelque chose du groupe, du collectif, de l’interaction, du plaisir de jouer. Quelque chose dont on manque. Ce disque est une partie de la solution.
David Chesworth « Industry & Leisure » LP (BFE)
Après les rééditions en 2011 puis en 2017 sur Chapter Music du premier album de son groupe Essendon Airport et de son premier disque solo « 50 Synthesizer Greats » (sorti à l’origine en 1979 et grand moment de minimal synth bricolé sur un reel-to-reel Akai 4000 DS), c’est au tour du label espagnol BFE de se pencher sur le cas de l’australien David Chesworth en rééditant un EP et cassette solo datant de 1982, « Industry & Leisure ». A cette époque Chesworth était coordinateur du Clifton Hill Community Music Centre à Melbourne, un lieu artistique pluridisciplinaire et expérimental. Difficile de ne pas faire le pont parfois avec la scène allemande Kassettentäter de la même époque pour ces claviers cheap et ses petites mélodies-accidents si accrocheuses. Mais Chesworth tente en réalité plein de choses et pousse même les voix sur « Made To Function » comme un clin d’oeil à Talking Heads ou flirte brièvement avec l’onirisme de Delia Derbyshire. Une musique qui se fraie un chemin dans l’inconnu avec de fines saillies qui couvrent un large spectre. Au final presque 40 ans plus tard, on ne sait toujours pas vraiment où il voulait aller et c’est qui se donne envie de continuer à l’écouter.
Smirk « s/t » LP (Drunken Sailor)
Il y a des albums qui ont un charme instantané. Celui de Smirk est de ceux là. Il est signé d’un certain Nick Vicario du groupe Public Eye (précédemment dans Autistic Youth), originaire de Portland. Pour ce premier effort solo, Vicario me fait penser un peu à Lars Finberg des A Frames s’aventurant sur des chemins de traverse avec son projet The Intelligence sur le fameux « Boredom & Terror » en 2004. On pourrait aussi évoquer, de la même clique, l’excellent album de Le Sang Song en 2009 (écoutez le « Mind Temp » de Smirk par exemple). Même si l’on n’est pas tout à fait sur les mêmes sonorités, l’approche me semble similaire: faire le pari de l’écriture, des idées, du fait-maison. Une approche « bedroom punk » qui n’empêche pas les chansons d’avoir de l’accroche et de l’ampleur et qui a l’avantage de permettre à Smirk de parcourir, avec une certaine indolence et pas mal d’humour, un terrain musical balisé par les parrains éternels post-punk et powerpop que sont Devo, Wire, Redd Kross et autres Real Kids. Smirk ajoute sa patte et fait passer de manière subtile mais bien réelle toutes les tensions d’un pays fracturé.
Spiritual Mafia « Al Fresco » LP (Anti-Fade/Ever/never)
Avec son line-up de feu comprenant des membres des meilleurs combos australiens de ces dernières années (Cuntz, EXEK, Ausmuteants), on était en droit d’attendre un gros premier album de Spiritual Mafia. On n’est pas déçu. Inutile ici de comparer ces six morceaux, enregistrés il y a 3 ans, avec les groupes pre-cités. Le son prend à la gorge dès les premières note et tout le savoir-faire de la scène australienne actuelle semble condensé avec rage dans ce disque. Titubant avec bonheur sur un groove souvent répétitif et stoogien, Spiritual Mafia construit des échafaudages de terminaisons nerveuses en forme de barbelés, soufflant sur les tensions avec la hargne de désespérés brûlés par le soleil-permanent (« Hybrid Animal »). Ce n’est pas un doberman fou, c’est un hydre dopé au psychédélisme cramé et à la fulgurante spontanéité, sifflant des synthés déliquescents en descente rapide du cosmos. Tout ce qu’il nous faut dans ce bas de monde c’est un son de basse comme sur « Bath Boy ». En boucle. Pour toujours. En six morceaux Spiritual Mafia sèche net la totalité des combos branchés du moment. Vivement un pressage européen que ce disque soit disponible par ici à un prix décent.
Zad Kokar & Les Combi Beyaz « Mold Grows » LP (Pouet! Schallplatten/Petite Nature/Kaka Kids/Animal Biscuit/Urin Gargarism)
Deuxième album pour cette formation emmenée par l’hyper prolifique Zad Kokar (également membre de Sida et Année Zéro et artiste visuel reconnu). Le son des Combi Beyaz est un habile mélange de no-wave originelle brûlante, de punk californien old school lignée SST – le disque est d’ailleurs produit par Geza X – et de musique industrielle/expérimentale du début des années 80 (Residents, DAF…). Tout cela est parfaitement intégré et mélangé avec hargne et tact. Les textes sont souvent plus déclamés que chantés, la guitare hyper acérée rape et déraille en permanence, une sorte d’electro lo-fi suinte et coule entre toutes les tentatives de constructions, les rythmiques sont souvent tribales et l’ambiance est tour à tour inquiétante, intriguante, hystérique. Zad Kokar est dans la création tous azimuts, il ne s’interdit rien. Plus que la folie ou la radicalité ce qui souffle sur cette album ce sont des vents de liberté. Des vents forts et revigorants. L’incroyable « Time At Home Alone Secretly Watching Home Alone » est un sommet, un petit hymne de déviance mentale et musicale assumée. Bref un album qui fait du bien et tombe pile pour le printemps.
Michael Beach « Dream Violence » LP (Goner)
Quatrième album solo pour ce musicien américain qui a déménagé d’Oakland à Melbourne – il est d’ailleurs également membre de groupes australiens comme Shovels (Homeless) ou l’étonnant duo instrumental Brain Drugs. « Dream Violence » a été enregistré en partie aux Etats-Unis avec l’aide du génial Kelley Stoltz (Les Disques Steak) et en Australie avec Matthew Ford et Innez Tulloch de Thigh Master (Bruit Direct Disques). Le disque est d’un éclectisme total mais s’avère totalement cohérent et se savoure du début à la fin. Les compos tentent plein de petites choses et quand la tension électrique est là, elle fonctionne comme ces frissons indomptables qui parcourent les meilleurs disques, écoutez « De Facto Blues » suivi de l’instrumental magique « The Tower » tout en delay et interférences. A l’évidence toutes ces chansons ont été parfaitement muries mais aussi parfaitement enregistrées, avec l’équilibre instable de la spontanéité (ces petits grésillements sur « You know, life is cheap », le piano de « You found me out » ou « Sometimes I get that cold feeling »). Rien de trop parfait je vous rassure, Michael Beach ne la ramène pas, il est en pleine crise existentielle. Mais il l’exprime avec brio et ce disque est une réussite certaine.
Spread Joy « s/t » LP (Feel It)
Premier album de ce groupe de Chicago qui comprend des membres de Negative Scanner et Human Beat. La rondeur des lignes de basse est d’emblée d’une indécence complète. Là-dessus le chant piquant de Briana Hernandez fait des étincelles: il y a définitivement du Slits, du Kleenex/Liliput voire même une pointe de Joan Jett époque Runaways. La guitare frétille comme une belle prise qui veut retourner à l’eau au plus vite et la batterie a ce qu’il faut de l’efficacité nécessaire à ce cocktail pour devenir molotov. Ces dix morceaux brûlent comme ceux qui faisaient bruler Zurich, Paris, Londres, New York il y a peu être un certain temps. Un temps qu’on veut retrouver parce qu’il a tout de l’insouciance et de la frénésie, de la sueur et des yeux mouillés, de ces moments qu’on voudrait étirer à l’infini. Le disque est trop court mais il se retourne et se retourne encore et encore. Et encore. Joli coup!
Ostseetraum « s/t » LP (adagio830)
Edition vinyle de la K7 de ce one-man-band berlinois sortie l’an passé sur le label Mangel. Il s’agirait d’un membre du groupe post-punk Liiek, ce qui ne nous avance pas forcément. Un peu à la manière de The Dictaphone, Ostseetraum bricole lui-même une minimal wave matinée de punk froid nourri aux synthés et à la boîte à rythme plutôt nerveuse. La formule n’est pas nouvelle et l’approche assume même une certaine monotonie voire un ennui (de ceux qui poussent à la créativité). Les morceaux sont accrocheurs. On pense à un Xmal Deutschland complètement dépouillé ou quelques autres grands noms du label ZickZack au début des années 80 mais aussi à une version moins expérimentale de Sprung Aus Den Wolken. Maître d’un monde souterrain, Ostseetraum arpente des labyrinthes de mélodies étouffées où grondent parfois des sonorités extérieures. A moins que ce ne soit des lignes de basse vraiment lugubres. Malgré cette ambiance souvent inquiétante, le chant reste la plupart du temps assez clair et évite de descendre dans des tonalités trop graves. Dans sa grotte, Ostseetraum a l’air de bien se marrer mine de rien et ce disque complètement bricolo a le charme du vrai fait maison.
Center « Contour Process » CS (Regional Bears)
On n’a pas envie d’en savoir trop sur le pedigree des membres de Center, comme pour se laisser porter par la musique. Une rapide recherche nous apprendra tout de même qu’ils sont déjà auteurs de trois cassettes et que « Contour process » est donc leur nouvelle sortie sur le label londonien Regional Bears (sur lequel est sorti aussi récemment un formidable et hilarant assemblage de collages sonores par Russell Walker des Pheromoans). Il y a des accointances avec le groupe psychédélique Headroom, originaire du nord-est américain et Stefan Christensen, dont on suit la carrière de près depuis notamment un album sur Bruit Direct disques, a rejoint le groupe de manière permanente. On s’arrêtera là pour les présentations. La musique est trop fine pour s’applatir de lourdes introductions. « Contour process » se déguste comme une promenade au parc avec tous les sens en alerte permanente. Ces guitares qui scintillent comme un soleil pâle sur la surface frémissante du lac, ces larsens presque discrets qui évoquent la balançoire un peu rouillé, ces silences en pointillé devant l’immensité des arbres, l’étrangeté des formes de certaines branches. Tout en feedbacks, Center nous guide dans une dérive lente mais permanente le long de notre imagination, cette force intérieure si fragile que l’on espère pourtant toujours pouvoir retrouver, à tout moment, quoiqu’il arrive. L’orage grésillant de la fin du morceau « Hamden Plaza » annonce déjà la fin de ces quatre titres admirables et on ne peut qu’attendre impatiemment leurs prochaines sorties.
Alan Vega « Mutator » LP (Sacred Bones)
Alan Vega est toujours là. Hyper créatif, notre homme a laissé des trésors derrière lui. Sacred Bones en dévoile une partie avec cet album posthume. On ne fait plus les présentations. Moitié de Suicide avec Martin Rev, Alan Vega est une artiste hors-norme qui a mis de la graisse magique dans les machines, déployé un mojo-magnétisme incroyable sur scène, trimballé sa poésie secouée avec un panache indicible. Auteur d’une douzaine d’albums solo, il épate à nouveau avec ce « Mutator » enregistré dans son studio new-yorkais en 1995-1996 avec sa femme Liz Lamere et Jared Artaud (The Vacant Lots) aux manettes. Un titre comme « Muscles » est emblématique: raideur de la rythmique, brouillard fascinant des arrangements, puissance évocatrice du chant, tout est là. La révolte du pelvis remuant dans une armure moderne d’une froideur brutale, métal glacé étouffant les chairs en sueur. Le quasi gospel digital de « Samurai » dévoile une fois de plus ce lien permanent et tordu avec les racines du rock’n’roll, celui qui brûle les tripes et les âmes. « Filthy » et « Nike Soldier » enfoncent le clou: rythmiques trépidantes et ce chant comme un mélange de délicatesse et de fureur sauvage. Les deux derniers morceaux sont plus planants, le chant se noyant parfois avec bonheur dans des torrents de synthés célestes.
Rudimentary Peni « Great War » LP (Sealed Records)
Alors que l’on a plus que jamais besoin de quelque chose pour faire face à l’écrasante quotidienneté du prosaïque, ce nouveau disque du célèbre groupe punk anglais – en activité depuis 1980 – vient à point nommé. La musique sombre, prenante, agressive de Rudimentary Peni ne peut se réduire à un seul courant musical ou à une seule époque mais le poétique est bien là. L’idée n’est pas ici de tracer l’historique de cette formation fascinante – j’en serais bien incapable – mais de saluer un disque d’un groupe dont les membres doivent bien avoir la soixantaine et et qui botte le train de n’importe quel combo hardcore-punk du moment. Le seul chanteur Nick Blinko – également auteur des pochettes, invariablement superbes – vaut à lui seul le détour. Le groupe a multiplié de longues périodes de hiatus et fait face à de nombreuses difficultés. Mais ce « Great War » – enregistré il y a quelques années – épate de sa puissance sombre, de cette noirceur trempée dans l’encre de Blinko, de cette radicalité intacte, de cette intensité si jouissive. Pour tout dire « Great War » ne peut raisonnablement s’écouter que sur vinyle et à plein volume. Toujours sur la crête de ses obsessions, Blinko s’appuie pour ce « Great War » sur la poésie de l’anglais Wilfred Owen, écrite pendant la guerre de 14-18. Il avait déjà utilisé un de ses textes pour un single en 2009. Dès l’ouverture, le « Anthem for Doomed Youth » claque comme jamais et aucune baisse de régime n’est à noter jusqu’à la fin. Si d’aucuns semblent plus inspirés par une analyse de la santé mentale de Blinko que par sa musique, il faudrait pourtant ne pas oublier d’écouter ses disques. Celui là est un nouvel uppercut salvateur.
JJULIUS « Vol 1 » LP (Mammas Mysteriska Jukebox)
Que sait on de cet artiste? Pas grand chose. Il est suédois. Il joue dans les groupes Monokultur et Skiftande Enheter. Il contribue à l’incroyable vivacité de la scène indépendante suédoise actuelle qui semble exploser de créativité. Sur cet album solo, le premier apparemment, on se laisse dériver avec lui dans un grand bain sonore et nocturne. Le fond de l’air n’est pas si frais. Il fait même plutôt doux. Des éclats de lune, des éclats de mystère, éclairent cette échappée dans l’obscurité. Parfois il y a une boîte à rythme qui donne quelques pulsations, parfois on laisse filer ses pensées sur un synthé ou une guitare inévitablement seule. On ne comprend rien aux paroles bien sûr mais il y a assurément quelque chose qui passe. Un courant, une atmosphère, une électricité, quelque chose dans l’air ou dans l’eau. Souvent c’est la basse qui semble guider nos pas fébriles à travers des éclats de voix, des mondes qui se créent sous nos yeux, pour quelques secondes, dans un mouvement permanent, impressionniste. Pas vraiment envie de me lancer dans des comparaisons journalistiques mais il y a, il me semble, quelques reflets de Durutti Column dans cette virée définitivement inspirante et vivifiante. Un album aux charmes indéniables. L’édition vinyle semble déjà épuisée, on ne peut qu’espérer qu’un nouveau tirage, plus conséquent cette fois ci.
Bilders « Move Along, Love Among » CS (Thokei Tapes)
Builders ou Bilders, c’est bien la mythique formation néo-zélandaise à géométrie variable de Bill Direen, en activité depuis 1980, dont on parle ici. Si sa route a croisé celle de Flying Nun aux débuts du groupe, il a également eu son propre label, South Indies. Bill est un poète étonnant qui a trainé son regard à travers le monde et outre son pays, auquel il est très attaché, notamment en Europe à Berlin et Paris. Il y a chez lui une maîtrise dans l’écriture qui me fait à chaque fois forte impression. Cet album souligne également une fois de plus le travail des textures et des arrangements. Oui il y a un peu de glockenspiel et kalimba mais toujours au service des textes et d’un chant qui tient du spoken-word malgré des intonations de voix et des prononciations qui contribuent aussi à l’atmosphère générale. L’impression ici d’être au bout du monde, dans une maison isolée balayée par le vent mais considérablement réchauffée par des chansons-univers qui se dévoilent les unes après les autres avec une intriguante fragilité. Même si Grapefruit records a contribué ces dernières années à remettre un peu les projecteurs sur Bill Direen – tout comme le remarquable album de Ferocious sur Rattle records l’an passé – il reste un encore largement méconnu sous nos latitudes. Il n’est jamais trop tard pour découvrir son oeuvre et ce « Move Along, Love Among » est une raison supplémentaire. A noter que les recettes la version numérique de cet album seront versées à Book Guardians Aotearoa qui tente de sauver de la destruction les 625 000 livres de la collection d’outre-mer de la Bibliothèque nationale de Nouvelle-Zélande à Wellington.
Privat « Ein Gedachtnis Rollt Sich Auf Der Zunge Aus » LP (Alter)
Premier album de ce groupe basé à Vienne et dans lequel on retrouve notamment un certain Robert Pawliczek qui s’est fait connaître ces dernières années dans des formations comme Bobby Would ou Heavy Metal. Mais il y a aussi un autre Robert qui lui verse plutôt dans l’architecture, d’après ce que je comprends. On est tout de suite attrapé par l’atmosphère nocturne, électronique et bouillante de ce premier disque incroyablement maîtrisé. « Unterhaltung » et on est quelque part entre Moroder et Adult., à se rouler sur le bitume pour entrevoir le blanc des nuages dans le bleu de la nuit et croiser quelques carcasses de synthés désossés. La tension de « Die Kassette » bourdonne comme une échappée folle qui cherche des angles à la Liaisons Dangereuses tout en alimentant une garniture planante et un chanté-parlé froid et distant. « Das Parkett » descend dans les profondeurs glaçante d’un sombre chateau gothique mais avec un mélange de grâce et de décadence (ces notes de basses extrêmes). L’album se poursuit entre frénésie lugubre et introspection inquiétante, médicamenteuse. Le « Momente » final dévoile un climax assurément chimique et cinématographique. Une belle réussite.
Famous Mammals « s/t » CS (Self-Released)
Très peu d’infos sur ce nouveau combo américain d’Oakland qui semble pourtant comporter des membres de The World, The Cuts ou encore Naked Roommate. La boîte à rythme est rachitique au possible, le chant souvent distancié, la guitare frétille obstinément dans son coin et un petit enchevêtrement de sonorités maison (saxophone, percussions, sifflements…) contribue à cet aspect artisanal fièrement revendiqué. « Unspoken chair » a tout de la petite ritournelle pop à la Television Personalities là où « Observer and the Object » vire plus clairement punk rock à la Tyvek. « Kant Kan’t Dance » et surtout « Ode To Nikki » trouvent un ton qui marque: on est plongé dans un magma minimaliste, raffiné sans être prétentieux, accrocheur sans pour autant chercher à séduire à tout prix. « Nouvel enregistrement » est un morceau étonnant où Camille Lan (du fanzine Making Waves) lit un texte de Flora Tristan, militante féministe franco-péruvienne du début du 19ième. Le long instrumental « Horizontal Bombings » clôt ce premier opus particulièrement prometteur.
EXEK « Good Thing They Ripped Up The Carpet » LP (Lulu’s Sonic Disc Club)
Ce nouveau disque du groupe australien est un mélange d’anciens et de nouveaux morceaux et sort exclusivement sur le label de Melbourne Lulu’s Sonic Disc Club (émanation du disquaire Lulu). On retrouve avec plaisir l’approche étonnante du groupe comme entité hybride avançant dans une myriade d’univers aux textures et aux couleurs changeantes, prenant un plaisir cinématographique à nous perdre dans des dédales de compositions à tiroirs. Souvent quand on se trouve perdu, il y a une basse ou une batterie qui refait surface comme pour dissiper temporairement le mystère ou du moins lui donner un rythme qui donne envie de poursuivre la visite. Les textes sont au service de ce jeu de pistes, de cet escape game musical dont eux seuls ont le secret. A noter que la face B comprend deux morceaux présents sur des compilations célébrant un 20ième anniversaire (« Four Stomachs » sur la compilation sdz – bon ok ça fait 21 ans maintenant – et le superbe « Too Steep A Hill To Climb » sur celle du disquaire Born Bad). Entre rétrospective et avant-goût d’un futur album déjà en construction « Good Thing They Ripped Up The Carpet » est un disque à l’image d’un groupe qui assume sa complexité sans pour autant la mettre en avant.
Pogy & Les Kefars « Dans ton rétro » LP (Bitume Rugueux/Crapoulet/No Front Teeth)
Je ne connaissais pas ce jeune groupe marseillais qui assume une power pop rentre-dedans, sans complexe et avec des paroles bien troussées et non dénuées d’humour. Le « Bye Bye Johnny » me fait inmanquablement penser au morceau de Pierre & Bastien sur Mitterrand, allez comprendre pourquoi. Il y a un certain parallélisme à creuser entre les deux groupes – des racines punk rock communes a minima – même si ici les sonorités sont ici beaucoup plus pop. Le groupe est au taquet et l’enregistrement est très bon. « Ce matin le voisin est mort / Je vais pouvoir jouer plus fort » sur « Bien », ça claque quand même pas mal, avec en plus des choeurs gavés de soleil dégoulinant. Parfois les punchlines font un peu plus téléphonés mais tout est assumé et l’ensemble est d’une légèreté et d’un manque de prétention qui fait plaisir à entendre. « Dans ma parka » est le petit bijou de cet album avec son refrain aussi simple qu’accrocheur – « comment partir loin d’ici? » – qui résume tant de choses en si peu de mots. Bref, ce premier album est une vraie réussite et il me semble qu’il serait dommage de s’en passer pour cet été!
BARAONDA « p r i m a v e r a s u p e r f l ú a » DL (wraaawraa)
Une forme de résistance s’est organisée à Rome depuis plus d’un an et c’est le collectif Baraonda qui en apporte ici une première preuve, en musique. On ne sait pas grand chose de la composition de ce collectif d’une vingtaine de musiciens même si certaines informations glanées ici et là semblent indiquer que des membres de la branche italienne de la Grande Triple Alliance Internationale de l’Est comme Julie Normal (Accident du Travail) et Maria Violenza ont participé. Le principe a été de se réunir régulièrement dans différentes maisons et d’essayer de partager quelque chose collectivement à travers la musique. Chose qui pouvait sembler simple et qui ne l’est plus. La plupart des morceaux sont chantés en italien sauf l’aérien « No Future » et « Oh Hannah », une superbe reprise du « I wanna be your girlfriend » de Girl In Red. On trouve quelques longs jams (« Treni », « Ossigeno ») assez prenants et des morceaux aux influences diverses (pop, folklore, psychédélique, jazz free, minimal synth…) qui témoignent, comme un pied-de-nez, d’une absence de contraintes, d’une créativité qui se veut la plus libérée possible et surtout plus simplement du plaisir de jouer ensemble, de se découvrir ou re-découvrir à travers la musique. A l’écoute de ces dix titres, on se dit qu’ils touchent là à l’essentiel, à une nécessité que l’isolement prolongé ne pourra pas détruire. Et puis l’ambiance générale est plutôt détendue voire très détendue, ce qui est tout à fait appréciable dans une époque où les couches de stress semblent s’ajouter à l’infini. Un belle découverte. A noter que le collectif indique que si cet album digital leur donne les moyens, il y aura un pressage vinyle. Alors vous savez ce qui vous reste à faire si ça vous plaît!
Birds of Maya « Valdez » LP (Drag City)
Quatrième album du groupe de Philadelphie après des disques remarqués sur des labels comme Holy Moutain, Richie et Little Big Chief. Ils passent désormais à une plus grosse distribution avec Drag City. « Valdez » a été enregistré en 2014 mais ne sort que maintenant. Partageant des accointances avec Purling Hiss, Spacin’ et Watery Love, vous pouvez vous douter que Birds of Maya est toutes guitares dehors dès le premier morceau, le splendide « High Fly » qui met d’emblée la part très très haut. J’ai toujours pensé que pour mettre en avant des guitares aussi bavardes il fallait une très grosse dose de « feeling ». Là on est servi. Stoogien en diable, sale, vrillé, l’album se déguste au volume maximum. On titube mentalement devant le choc psychotropique de morceaux-somme comme « Busted Room » – la pièce ne sera plus jamais la même – ou d’envolées acides comme « Recessinater » ou « Please come in ». Quelque part entre Hawkwind et les débuts de Bardo Pond, féroce, sans concession, sauvage, ce « Valdez » frappe un grand coup et on espère ne pas attendre aussi longtemps avant le prochain disque.
Luca Retraite « Super Poison Retraite » CS (Simple Music Experience)
Très bonne idée du label Simple Music Experience que de sortir en cassette ce mix – initialement diffusé dans le cadre d’une émission de radio – qui couvre différent projets de Luca Retraite, plus connu actuellement sous le nom de Ventre de Biche (3 albums et pas mal de singles au compteur) mais disposant de nombreux projets parallèles et d’autant d’alias comme Patrick Google, Chase Long ou encore ASS. Ce pot parfaitement pourri permet de saisir le rare éclectisme de Luca qui passe allègrement de la trap maison à la Bones / $uicideboy$ / Depressive Tongue Posse – souvent tordue et soniquement malaxée à sa sauce – aux divagations guitaristiques post-punk/noise de SIDA en passant par le rock psychédélique piquant des trop méconnus John Merricks. Le tout est ici subtilement assemblé. « Et je parle dans ton crâne, c’est pour ça que les bonnes gens te fuient » répète t-il dans « Corniche Kennedy », morceau merveilleusement minimaliste et personnel de Ventre de Biche. Les textes sont souvent de petites fulgurances. Des assemblages de mots qui sonnent. De ceux qu’on écrit sur un bout de papier mais qui rentrent parfaitement dans le crâne, justement. Il faut dire que la répétition est là, comme une culture du sample textuel, celui qui claque et qui résonne. « On dit travail quand ça paye cash » martèle t-il d’une voix robotique dans le « Cash » de Chase Long. Il y a aussi des morceaux plus calmes, entre spleen de rue et introspection synthétique qui laissent une large place à la musique, la voix étant souvent avec effet et assez discrète pour qu’on tende l’oreille. Pas de Charnier ni de Système Magique ni de Bimbiveru mais allez donc sur drywud.fr, sur le bandcamp de son label – Maison de Retraite – et sur son instagram si vous voulez en découvrir plus!
Drunk Meat « Plus ça va moins ça va » LP (Pouet! Schallplatten)
On revient un peu en arrière avec la réédition vinyle parue fin Avril d’un CD de 2019 du duo bordelais Drunk Meat (un certain Romain, une certaine Céline). Un disque qui frappe fort par ses textes désabusés (« coups de couteau / menaces de mort / t’aurais pas dû sortir en boîte » ou encore « elle a tué son patron / elle a dû quitter ses fonctions ») et sa musique sombre et tendue qui évoque autant les Cramps que Birthday Party, Pierre & Bastien ou quelques dignes représentants de la Grande Triple Alliance Internationale de l’Est (Le Chômage et AH Kraken en particulier). Entre synth-wave sombre et post-punk sale et tendu, le duo trouve un terrain fertile qui lui permet de développer des compos accrocheuses dans des ambiances d’une noirceur quasi-goth. C’est quand le tempo vient à ralentir et que la guitare se fait plus sournoise que Drunk Meat trouve toute son ampleur, par exemple avec le morceau « Je perds pied » qui clôt l’album. Drunk Meat ne renverse pas la table mais fait preuve d’une lucidité sauvage en poussant à l’excès le désespoir et le cynisme de l’époque.
Strapping Fieldhands « Across The Susquehanna » LP (Petty Bunco)
Cinquième album de ce duo de Philadelphie, actif depuis le début des années 90 et particulièrement respecté outre-Atlantique. Ils semblent un peu moins connus par ici et pourtant je ne saurais que trop vous conseiller de vous pencher sur leurs disques (plusieurs EP et une compile sur Siltbreeze notamment mais pas seulement). Ce nouveau disque présente quartorze nouvelles chansons merveilleusement perchées pour un trip psychédélique quelque part entre Syd Barrett, Jim Shepard et Peter Jefferies. Perdu dans les méandres du fleuve Susquehanna, dont la longue histoire semble infuser la génèse de cet album, on barbote avec plaisir en écoutant quelques sompteuses divagations au poison lent comme « The Hand That Plays Calliope », « Dream of amazement » ou « City of pain ». Il y a parfois des influences plus country (« Joy Ride »), blues (« I’m looking at you ») ou pop 60s (« He’s a Chart Topper! ») mais la qualité des compos est toujours au rendez-vous et je lève ma bière bien fraîche à ce disque pastoral, labyrinthique et parfaitement réussi que je ne saurais trop vous recommander.
Shūko No Omit « 秘密の回顧録 » LP (An’archives)
Je ne me risquerai pas à un historique voire même une présentation de ce groupe japonais car étant particulièrement novice à leur sujet je préfère vous laisser découvrir les notes de pochette de l’excellent Patrick O’Brien (des fabuleux Mad Nanna). Emmenés par Yonju Miyaoka et originaire d’Osaka, Shūko No Omit est un trio guitare / basse / batterie qui s’appuie sur de puissantes racines blues et psychédéliques avec bien souvent quelques fulgurances no-wave. L’album ressemble à une longue improvisation live où Miyaoka fait preuve d’une forte présence au chant, donnant une véritable intensité dramatique. On est là dans bicoque secouée par les vents, scrutant parfois avec inquiétude les vagues entre les planches en bois, les yeux fermés devant une musique aussi tempêtueuse et évocatrice. Il y a parfois des choeurs complètement décalés et un harmonica discret. Et bien souvent une basse qui tourne parfaitement en rond, une batterie souvent en retrait et une guitare qui déraille follement…mais pas tout le temps. On croit déceler un modèle, des motifs, mais non, le groupe est sinueux par essence. Finalement peut-être que cette bicoque ne tremble pas du tout et que la mer est calme mais avec Shūko No Omit, quelle traversée quand même! Plongez-vous dedans!
Alan Vega, Ben Vaughn, Barb Dwyer & Palmyra Delran « After dark » LP (In The Red)
Voici déjà de nouveaux enregistrements inédits d’Alan Vega, cette fois avec des membres du groupe Pink Slip Daddy – dont le talentueux Ben Vaugn avec qui il avait déjà signé « Cubist Blues » en 1996 en compagnie d’Alex Chilton. Une session bien différente des morceaux parus sur l’album « Mutator » il y a quelques mois. Ici l’ambiance est davantage blues et rockabilly même si la patte Vega est de nouveau immédiatement reconnaissable. « Hi Speed Roller » fait monter la température et ménage les tensions avec classe quand « Out of town » est un slow de velours qui laisse rugir les talents de chanteur de Vega. Le groupe a ce qu’il faut de tact et de discrétion et on pense à certains disques magiques de Kid Congo, Tav Falco ou Andre Williams, de ceux qui visent les frissons. »River of no shame » et ces maracas et ce theremin qui donnent clairement envie de se retrouver là, devant lui, dans un petit club enfumé à une heure avancée. Le morceau dure 6 minutes et des, il pourrait durer 6 heures, il serait aussi bon. La valse de « Wings of glory » et le détour synthétique aveuglant et intriguant de « The Record speed » et le disque est déjà terminé…. »there is a future, your future ». Encore un trésor à déguster, gageons qu’il n’y en aura d’autres.
The Rebel « Remember your failure in the cave » LP (Wrong Speed Records)
On ne présente plus Ben R Wallers des Country Teasers dont voici l’enième album solo – on ne les compte plus vraiment car il y a plein de cassettes, de CD-R – tout doit d’être découvert, dégusté. On est ici clairement sur le versant le plus expérimental du Rebel, pas grand chose à voir avec les albums sur Monofonus Press il y a quelques années. Il faut plonger à nouveau dans son univers électronique lo-fi mi-joyeux mi-triste et essentiellement instrumental. »Baby chick went down to the fayre » mettrait de l’ambiance en concert, intercalé entre quelques uns de ses classiques. Chaque album est une construction infiniment personnelle, du titre de chaque morceau (souvent à rallonge), jusqu’à la musique « infiniment maison » bien sûr. « I’d like to record an LP » et il lâche les paroles qu’on attendait, sur le contexte, sur lui avec son sens de l’humour et ses multiples ramifications parfois un peu cryptiques mais toujours portées par une intention forte. « Title track two » et on bascule dans ces ambiances caverneuses et synthétiques, un peu flippantes, qu’il affectionne particulièrement. Il y a un jeu de mots récurrent sur « Ace of spade »/ »Eighce ovs payeds », il faudra qu’on me l’explique, j’ai pas tout compris, je suis désolé. Cette chronique est médiocre mais le disque ne l’est pas. Il parlera d’emblée aux afficionados. Pour les autres: il n’y a aucun point d’entrée recommandé pour The Rebel, faut se lancer, c’est tout.
Friendly Boyfriend « Pick up! » EP (Happiest Place Records)
On replonge dans l’effervescence de la scène indépendante suédoise avec ce duo qui sort là son premier 45 tours. Le groupe assume très clairement l’influence de la scène néo-zélandaise au sens large – de The Clean à Pumice – mais aussi de groupes comme Beat Happening ou les Vaselines. « Gone for a time », bien déglingué, construit sa mélodie claire sur des bourdonnements bruitistes qui ne couvrent que partiellement une approche pop bien réelle, notamment à travers les chants de Tyra et Vihtori qui se croisent avec bonheur malgré un mixage un peu hasardeux. « Beatnik » est une reprise du classique de The Clean qu’ils colorent à leur façon c’est à dire avec une fougue et amateurisme lofi revendiqué qui donnent à ce morceau un côté bricolo étrange. Amoureux des déséquilibres et des mixages tout en contrastes dans le rouge, le groupe enfonce le clou avec « Julie’s head ». Un titre qui glisse sur le pitch et qui par sa construction répétitive et ce petit orgue bien senti verse bien vite dans un psychédélisme sixties maison du meilleur effet. Difficile de ne pas l’écouter en boucle, c’est mon morceau préféré du EP. « Sleeping (on your couch) » est très bon aussi mais un peu plus vaporeux, confortablement calé sur une ligne de basse bien solide et se terminant avec des éclats de voix. « Pick up! » a tout de la prise directe, du plaisir du spontané, de l’instantané, peau contre disque, le plus fort possible.
Fake Last Name « It’ll happen again » CS (Tough Gum)
Petit retour en arrière cette semaine avec la K7 de Fake Last Name sortie à la toute fin du mois de Mai sur le label Tough Gum. Originaire de Baton Rouge en Louisiane, il s’agit – si je ne me trompe – du projet d’une moitié du groupe Spllit, auteur d’un récent LP sur l’excellent Feel It Records. Né au fin fond du confinement, ces mini-chansons ont le charme des plus beaux bricolages, de ceux qu’on fait dans l’isolement, sans se soucier du qu’en-dira-t-on. Rythmiques saccadées, presques hésitantes, field recordings du quotidien contraint, murmures de voix, lignes de basse 100% coton…on se balade dans cet univers hautement personnel avec un plaisir total. Il y a du Maraudeur dans ces petites vignettes tantôt entraînantes tantôt intriguantes où les enregistrements de voix se mêlent, où les rythmes semblent dériver dans la fièvre punk de l’inconnu, sur la crête de cette pandémie. Tout se déchaîne autour mais à l’intérieur, au plus for intérieur, la musique reste et restera, même sous un « bulky layers of shirts and hoodies (stepping out) ». J’attends la suite avec impatience!
Terrine « Les Problèmes Urbains » LP (Tanzprocesz/Bruit Direct Disques)
Oui c’est bien le nouvel album de Terrine, le projet solo de Claire Gapenne que vous connaissez peut-être aussi via les groupes Headwar, Jazzoux ou Me Donner. « Donne le mi » me donne des coups de basse dès le milieu de morceau, ce qui est très bon signe. Ensuite c’est parti pour un grand tour de sa boîte cranienne par l’entremise d’une installation, de manipulations dont elle a le secret. Il y a des éclats de conversations, des bribes de rythmiques, des échos d’un monde numérique mais elle soulève les écrans comme les nappes et les tire d’un coup sec. Un verre de vin, des charentaises, un grand conteneur de déchets à recycler: on ne pense pas du tout à tout ça en écoutant « L’anniversaire » – grosse ambiance – ou en écoutant « Carotte Cake », de la cuisine électronique de précision magnifiquement noyée par une volée de piano amateur. « Tourner en rond » et je tends l’oreille: ces bourdonnements, cette petite mélodie de fête foraine déserte, les imaginaires se faufilent à grande vitesse, glissant sur des poussées de basse-bitume. Par l’entrebaillement d’une lourde porte, une conférence, une soirée bavardages entre porteurs de verres de vin, vite interrompue par des démangeaisons de créations, de piano sax en autodidacte et de ping-pong hommage à Bernard Parmegiani. Tout cela se termine à tester des perceuses tranquillement en pleine séance de stretching sur l’épaisse moquette d’un vaste appartement des années septante. Pour cette rentrée, feuilles perforées petits carreaux et « Les problèmes urbains » sont assurément des indispensables.
Jérôme Noetinger / Lionel Fernandez « Outer Blanc » LP (Sonoris)
On ne présente plus Noetinger et Fernandez, deux grands noms de la scène expérimentale française, l’un improvisateur electroacoustique renommé – longtemps à tête du mailorder Metamkine – et l’autre guitariste de Sister Iodine et activiste notoire. Voilà couché sur disque le résultat d’une de leurs récentes collaborations. Dès le deuxième morceau, ils sont à l’arme lourde à créer le malaise auditif qu’on attendait, sons de perceuses, micro-destructions amplifiées, larsens millésimés. Ils élèvent personnellement, en bout de piste de chaque aéroport français, ces oiseaux qui viennent se nicher dans les réacteurs, créant les turbulences les plus imprévisibles. Mais ils savent aussi se laisser dériver, toutes machineries dehors, le long de grands fleuves sombres – à moins que ce ne soit des palissades un peu liquides – pour le plaisir d’arriver à un endroit qu’ils ne connaissent pas. « Copter » et tout se décroche d’un ciel d’un bleu trop noir: de brefs éclats de jaune et de rouge puis une multitude de blocs de jungle hyper-denses qui se dressent ensuite à chaque coin de rue comme des ombres nouvelles. Tout l’environnement s’en trouve modifié. D’indescriptibles machines-insectes strient l’air chaud de leurs chants stridents, d’une répétitivité qui froisse tout être existant. Dans ce vert-nuit permanent il n’y a que l’expression d’une liberté en lettres de vie qui puisse tracer un chemin de sortie car tout est captivité. « Athena III » et « Outer cuts » et les réflexions se font plus profondes. Le soulèvement viendra des entrailles les plus insoupçonnées, de celles qui ne peuvent plus rien digérer. Sur ces borborygmes salutaires, « Outer Exit » s’impose comme une évidence, majestueusement inquiétante, aussi créatrice que destructrice.
Ecoute/achat: https://www.sonoris.org/product/jerome-noetinger-lionel-fernandez-outer-blanc-lp/
The Moving Pictures « Fake Books » LP (K/Perennial Death)
Je ne connaissais rien de Moving Pictures avant mais c’est apparemment le deuxième album et c’est devenu un projet solo alors que ça ne l’était pas forcément au début. Quoiqu’il en soit Moving Pictures pose ses pas dans le long chemin des troubadours à l’inconsolable solitude. Un peu de synthé, beaucoup de réverb sur la guitare, parfois une boîte à rythme comme meilleure amie et des mots avec lesquels il essaie probablement de faire dire un peu trop de choses. « Nothing Fades (Like Love) » sonne plus vrai que nature – on dirait un lointain cousin de Nathan Snell dont je vous parlerai bientôt ici – tout en pointillés électriques et vague-à-l’âme du Northwest – après tout on est à Olympia. Un échec, des échecs, une chanson. « Holiday Ennui » a presque des airs de déjà-entendu mais il y a bien des milliers de variantes de spleen, c’est le plus beau des virus. « Obliteration Room » est une merveille de bedroom-pop sombre et tordue. Le malaise de l’époque semble temporairement s’enfuir par les fenêtres grandes ouvertes. « Crush box » est aussi de ces brouillons gratouillés dans un intérieur abandonné par toute présence extérieure. Tout transpire d’une vérité froide et posée qui, s’en prendre gare, se prend magnifiquement les pieds dans la poésie. « No name » achève un disque dont l’auteur souhaitait sans doute avant tout qu’il existe sans pour autant qu’il le sorte de l’anonymat dans lequel il peut écrire, composer et chaque jour se comprendre un peu plus.
Equipment Pointed Ankh « Without Human Permission » LP (Astral Editions/Somophore Lounge)
Actif depuis 2016, Equipment Pointed Ankh est un projet de Jim Marlowe (Tropical Trash, Sapat…). Il y a eu pas mal de sorties au format numérique pendant les premières années puis un « Live » en 2019 sur Somophore Lounge également. La ville c’est Louisville, l’état c’est le Kentucky. Je sais que vous aimez la géographie comme moi alors j’ai été ravi d’apprendre que ce disque a été enregistré à Pawtucket, Rhode Island. Une semaine d’enregistrement. Equipment Pointed Ankh est l’épitome du groupe polymorphe, une créature en perpétuelle régénération. L’intensité harmonico-psychédélique atteint déjà un pic dès le deuxième morceau, « Blue Folding Room ». Puis le groupe introduit du rythme et du kick dans « Rainforest Cotillion » qui se fond en une série de dilatations de pupilles – les deux morceaux suivants qui ne feraient pas tache sur un album de Crazy Doberman. « Pioneer Chairs » est une dérivation neuronale pas si éloignées de celles pratiquées à leurs débuts par Soft Machine. Mais c’est ensuite un track beaucoup plus techno primitive, « Chrome Rum », qui brouille les esprits et se noie dans une réverb gorgée d’alcool fort. « Zen Authority » semble représenter un point d’équilibre, une croisée des chemins ou peut-être la dernière étape d’une mutation. En effet, les deux derniers morceaux et en particulier celui qui donne son titre au disque semblent claquer dans une autre galaxie, osant les détours les plus inattendus, trouvant enfin cette route entre malaise et enchantement, entre douceur et amertume.
Rider/Horse « Select Trials » LP (Ever/Never)
Originaires de Kingston au nord de New-York, Rider/Horse est un nouveau groupe composé de Cory Plump (ex Spray Paint) et Chris Turco (ex Les Savy Fav, Trans Am…). « Select Trials » est un premier album conçu comme un hold-up tendu quelque part entre Big Black et A Frames et on peut le dire d’emblée: ça fait du bien. « Tremolo Harm » est un gros coup de massue suivi de l’intro plus mélancolique de « Chime Inn » qui se construit comme une course-poursuite glaciale, rythmique trépidante, basses des bas-fonds et un peu d’épices synthétiques. Sombres, secs, enregistrés en pleine pandémie, les morceaux-exutoires sont des carburants pour sortir de ce monde le temps d’un album. Oui c’est encore possible. « Bodyslam Turco » et « Prawn Ranch » sont des sorties nocturnes interdites, une envie de crier sur le pergélisol en pleine fonte, de mettre un coup de tête à ceux qui s’entêtent. Avec peu de moyens Rider/Horse parvient à créer des ambiances post-industrielles cryptiques, des kraut-eries bruyantes et perchées qui filent comme des tamarin-lions entre les ombres d’un monde devenu complètement fou. « Select Trials » est un combat de boxe en TGV, désespéré, parcouru de spasmes, de crises d’angoisse et de sueur froides. Etre parvenu à exprimer tout cela est déjà en soi une réussite.
Men & Health « Heroin On Reality TV » EP (Levande Begravd Records)
Voici un trio basé à Copenhague – auteur d’un premier album K7 autoproduit l’an dernier – qui fait forte impression avec cet EP de punk minimaliste et cru. Il y a parfois des disques qui s’imposent naturellement. En voilà un. A une époque où tout passe trop vite, trop mal, Men & Health cherche d’abord à attirer l’attention avec un titre assez provocateur. On peut être rebuté mais si on a la curiosité d’écouter, le résultat ne peut qu’accrocher: « They should get heroin to people on reality tv », il fallait y penser comme refrain et le morceau est suffisamment bon pour rester en tête. Guitare bien sale, boîte à rythme bien bête et bien méchante, paroles stupides au possible (« I’m on a planet made of you » et autres « It’s so freezing cold tonight » peut on entendre sur d’autres titres), le cocktail n’est pas nouveau mais Men & Health le boit cul sec et en redemande une tournée derechef. Les gaillards ne manquent pas d’humour non plus puisque le dernier morceau, plus lent et mélancolique a comme refrain « Getting up at noon…do you think it’s too soon? ». Imparable.
Demain sans faute « Panier de fruits » LP (Epicericords/Coolax records/GED/Cheap Satanism records/La loutre par les cornes/Scolopendre/Araki records/Les Clampins d’abord/Do It Youssef !)
Demain sans faute tranche des espaces en face de la mer d’Iroise (« Type de larsen 3 »), descend en flûte le long des sentiers côtiers les plus escarpés (« Tranquille et tendu »), tape un bong quand la lune devient trop rousse ou trop grise (« Smoke on the water 1 »). On se perd dans la nuit brestoise avec des regards mal interprétés, des rendez-vous manqués, des néons éteints trop rapidement ou un coup de chaud dans une brasserie (« Impro n°9 »). Il y a du bricolage le dimanche mais qui provient en fait d’une tentative de boîte de nuit avec boîtes à outils. Il faut continuer à utiliser tous ces outils, tapisser un morceau de leurs sonorités, le cliquetis métallique et la rythmique de ces interventions ne se noieront que dans un ressac profond (« En fait j’aime bien la techno »). Le hangar abrite des machines à bois, des machines à boire, des machines à écrire qui font ding (et pas trop dong), des percussions….tout mène à l’improvisation. Et tout devient liquide. Un panier bien garni.